200 panels rassemblés dans un vrai magazine papier, traitant exclusivement du graffiti sur trains dans la région de Bordeaux, le tout sans aucune pub : c’est la bonne surprise que nous avons eu à la lecture du premier numéro de Plaisir Coupable.
L’auteur, trainspotter pour le moins assidu, y partage ses plus belles photos prises entre 2016 et 2018. Pour en savoir plus, le lieu du rdv était tout trouvé : ce sera le Point Rencontre de la gare de Bordeaux-Saint-Jean. Le photographe vient accompagné de Klinte, un des graffeurs les plus actifs d’Aquitaine. Idéal pour en savoir un peu plus sur ce qui se trame dans la région.
Quelle est l’origine de Plaisir Coupable ?
Plaisir Coupable : J’ai toujours eu dans un coin de ma tête la volonté de faire un magazine de graffiti. Mais comme je n’aime pas déléguer ni demander des photos aux autres, je suis parti au charbon avec comme défi personnel de tout faire moi-même : les photos, la mise en page, les vidéos, le montage vidéo, l’édition, la distribution. Au-delà de ça, c’est important pour moi de garder une trace de ce qui a été fait ainsi que de transmettre mes photos aux intéressés qui n’ont peut-être pas pu avoir leur photo de jour. J’aime également ce petit défi qui consiste à bosser dans l’urgence, car de la même manière qu’un peintre n’a que quelques minutes pour effectuer sa pièce, je n’ai parfois que quelques minutes pour prendre la meilleure photo possible.
Tu t’intéresses plutôt aux trains à la base, ou bien tu es focalisé sur le graffiti ?
Plaisir Coupable : Quand j’entre en gare, mon unique objectif est de prendre en photo des peintures et d’essayer dans la mesure du possible de bien les mettre en valeur. Le kiff, c’est quand ma photo raconte une histoire, comme cette maman, qui me voyant shooter ce beau Regiolis fraichement décoré, a demandé à son fils de poser devant le panel. Le fiston, pas peu fier, lui a fait son plus beau sourire.
Pour ceux qui ont connu les années 90 et les fanzines de l’époque comme 33’C’Fresh ou Xplicit Grafx, Bordeaux rimait avec PME, MX, NO, QIR… des crews qui ont façonné l’identité d’une scène locale un peu à part en France, principalement sur les fameux modèles de TER Z2. Histoire de voir ce qu’il en reste, Plaisir Coupable a déniché quelques photos d’archives.
Klinte, tu as commencé en 1996. Quels sont tes souvenirs de cette époque ?
Klinte : Je pense sincèrement que cet âge d’or a été très largement documenté dans la presse spécialisée de l’époque, et quand je dis largement, je suis quasi-sûr que tout a déjà été publié. Je respecte ces gens et cette époque, mais ils ne sont malheureusement plus d’actualité. Beaucoup ont stoppé et je pense qu’ils doivent avoir une bonne raison. Ceci dit, des gens comme Rekm, Polka, Hose, Rue, Tailor sont encore debouts et c’est très respectable.
Les styles ont-ils évolué par la suite ?
Klinte : Aucun héritage du style Bordelais malheureusement. Mais il y a toujours eu une activité régulière sur nos trains aquitains : entre Xplicit Grafx, Aquitaine Art et maintenant Plaisir Coupable, on a toujours eu droit à une certaine continuité sur le sujet.
Quels sont vos modèles préférés ?
Klinte : Certainement pas les Z2 rouges. J’en ai peint quand c’était le moment de le faire. Mais aujourd’hui, la nostalgie des soi-disant trainistes pour ce modèle n’est qu’une frustration de ne pas avoir pu les peindre quand ils circulaient.
Plaisir Coupable : Mon modèle préféré est celui qui est peint.
Y a-t-il beaucoup de passage ?
Klinte : Heureusement, vue la situation géographique. Je suis conscient d’habiter Bordeaux, une ville connue pour sa mentalité spéciale. Je ne parle pas aux graffeurs de chez moi ou même aux Français. Quand je parle graffiti, c’est généralement en espagnol. Mes potes sont Russes ou Allemands, mais certainement pas Bordelais.
Plaisir Coupable : Les locaux sont vraiment déterminés et réguliers avec des productions toujours plus qualitatives. Je leur tire une vraie révérence car si j’ai pu faire ce magazine, c’est surtout grâce à eux. Ça charbonne été comme hiver. Il ne faut pas oublier tous ceux qui ne viennent pas d’ici, qu’ils soient Toulousains, Marseillais, Palois, Nantais, Parisiens, Angoumoisins, Limougeauds, Espagnols, Italiens, Russes, Portugais… et qui sont tout aussi déterminés à laisser leur trace sur les trains du coin.
Est-ce que les trains peints circulent longtemps ?
Plaisir Coupable : S’il y a un truc qui n’a aucune logique ici, c’est bien le buff. Leur manière de fonctionner est incompréhensible. Un train peint peut circuler plusieurs semaines ou juste un seul jour. Parfois, ils effacent une pièce sur deux. Parfois, ils effacent juste la moitié du panel tout en laissant l’autre moitié rouler pendant des semaines. C’est à n’y rien comprendre.
Une anecdote ?
Plaisir Coupable : Un jour, je vois par transparence ce qui semble être un gros panel. Arrivé sur le quai en question, je tombe en effet sur une bête de peinture. Je dégaine mon appareil, je le shoote dans tous les sens. Je pense être seul sur le quai à ce moment-là. J’ai appris beaucoup plus tard que l’équipe en question était présente en train de shooter la même pièce, mais ils sont partis en me voyant arriver, pensant que j’étais de la police. Dans la précipitation, ils ont loupé leurs photos. Elles étaient floues. Heureusement pour eux, je leur ai filé les miennes. Je dois avoir une tête de flic, car une histoire assez semblable m’est arrivée dans un camp de gitans.
Des ennuis avec la Ferro ?
Plaisir Coupable : Je suis juste un usager de la SNCF qui se balade de quai en quai en attendant que son train arrive. Donc, non, je n’ai jamais eu aucun problème.
Klinte : C’est pas à moi que ça pose des soucis…