Je me suis mis au graffiti par hasard et assez tardivement, en 2004. C’est un concours de circonstances qui a changé ma vie. Le dessin c’était pas mon truc, ça l’est toujours pas vraiment. La peinture, j’en ai fait en maternelle. Le graffiti, enfin des sketchs, j’en ai retrouvé datant de 1998, des sortes de lettrages avec des persos mous. Si je n’avais pas rencontré Pirock, dans une classe où il y avait quatre guertas qui peignaient vraiment, je n’aurais jamais touché à une bombe de peinture. Il aurait peut-être mieux valu.
Depuis, les deux moteurs de ma peinture sont mes amis et mon envie irrépressible d’essayer. Un mélange de doute et de certitude très paradoxal qui accompagne chacune de mes tentatives.
#1 Cusek, on pense à toi
Cette première photo, que j’ai eue du mal à choisir, est un block Cusek peint en 2011 avec Scred, Save, Ckeja, entre autres. On en a peint plusieurs avec les OSK, les P36 et les G75 mais j’ai un souvenir particulier de celui-ci. Tu me manques toujours autant.
#2 Les diables d’Aubervilliers
J’essaie de me détourner du graffiti classique en m’inspirant de la bande dessinée et du manga. C’est plutôt pour celui qui fait des petits diables que j’ai filé cette photo. C’est lui qui m’a initié au graffiti, par challenge. Aujourd’hui, on se voit beaucoup plus pour boire des bières, refaire le monde, que pour peindre et on passe 80% de notre temps à se charrier ou à charrier les autres. C’est comme mon frère quoi.
#3 Poursuite à la Benny Hill
Avec mes compères du Pavillon36, Scred et ReakD, on entre dans une entreprise assez énorme avec une passerelle de verre au milieu qui relie deux bâtiments. On l’avait visité avec ReakD quelques jours plus tôt et on avait fait des peintures non visibles de l’extérieur, sur le toit, au soleil. Un petit paradis. Du coup c’est reparti, grille escaladée, Scred repère des détecteurs de mouvements qu’on n’avait pas vus, puis on accède au toit. On a trois heures à tuer avant le début de la peinture, c’est l’été, la vue est magnifique, on ouvre des bières en attendant le coucher du soleil. Après avoir fait dix fois le tour du toit, on s’y met.
Une fois les peintures achevées, on prend l’escalier du retour, ReakD et Scred entendent des bruits. Je les précède, je crois qu’ils délirent et je parle assez fort. Dix marches plus bas, lampes torches à quelques mètres, c’est la confrontation avec deux gars de la sécu, mais pas de chien ! On remonte les escaliers en courant, on traverse le bâtiment de l’autre côté, on entend moins de bruit, on se retourne, ils ne sont pas derrière nous.
On descend un escalier, ils sont à l’étage du dessous et viennent vers nous. C’est parti pour faire la course en arrière mais plus discrètement. Avant qu’ils montent pour nous chercher en haut, on est à leur étage et juste derrière eux. Notre seule issue, la passerelle. Croyant qu’on est à étage du dessus, ils montent, et on en profite, comme dans un sketch ou dans un dessin animé pour filer par la passerelle. Ils ne nous reverront plus jamais.
#4 Action de jour
L’été à Paris, les magasins font peau neuve, et nous, on les maquille un peu. Cette session avec Skpad ressemble à beaucoup d’autres. On repère et on vient rapidement, les places sont chères. Les heures de marches, les bières, le plaisir d’en trouver une grande, bien placée, vierge. J’avais même laissé une superbe place pour Scred, qui n’est pas venu à temps…
J’aime bien l’idée d’être tranquille pour peindre tout en ayant l’interaction avec la rue. C’est très bien pour faire quelque chose qui reste tout en expérimentant des trucs.
#5 Les camions parisiens
J’en ai fait quelques-uns. La plupart de jour, légaux ou pas. J’ai toujours préféré peindre de jour et les camions c’est idéal pour ça, enfin, la plupart du temps. A cette période, j’avais un style plutôt classique, tout au cap d’origine et au fat cap, je faisais pas mal de persos cartoon, d’animaux, de mélanges de lettres. On retrouve aussi l’influence des tatouages flash américains qui m’attiraient pas mal. Ce camion était régulièrement garé dans le 15ème arrondissement, comme presque tous mes camions qui sont dans le Sud de Paris.
Pour l’anecdote, on fait une hauteur de camion à Nation avec Scred, petite couleur en journée, à un moment ou j’avais changé de blase, quand un type vient nous voir et nous demande de taper sa remorque de camion. On est passé d’une action vandale à un plan légal en deux minutes.
#6 Le début d’un processus
En 2015, c’est l’année d’un processus toujours en cours, d’une tentative de passer du graffiti à la peinture. Avec des hauts et des bas. C’est avec les QCK que ce cheminement est arrivé et durant ma colocation avec Slurp. On peignait beaucoup avec Robie et Rebus quand il était à Paris. J’ai fait cette pièce avec Scred, durant une belle journée de road trip le long d’une voie rapide, où on est entré dans des camps de Roms. J’ai pu tester les bombes à haute pression le long d’une départementale et faire trois ou quatre peintures. J’aime ces journées. On part tôt, on roule longtemps, on prend des bières, et après avoir fait un, deux ou trois graffs comme on les imagine, on se lâche. C’est dans ces moments, sans pression, après avoir rentré des lettrages lisibles et visibles, que je me laisse aller. Cette fois, je me suis lancé dans ma première pièce au rouleau, presque sans utiliser de bombes. Je ferai complètement différemment aujourd’hui, mais je l’aime toujours bien.
#7 Graffiti abstrait
Durant cette année, j’essayais de changer les choses, c’était long, c’était laborieux, parfois intéressant mais souvent frustrant. Les lettres me rattrapaient alors que j’essayais de m’en débarrasser. Dans ce superbe spot d’Aubervilliers, avec Scred et ReakD, dans lequel on a fait des photos dingues avec une limousine abandonnée, j’ai réussi une de mes plus belles pièces. Un mélange entre graffiti et peinture, lisibilité et abstraction, utilisation variée de la bombe. En plus, c’est une pièce assez imposante. Je peux toujours la regarder sans grimacer.
#8 Une nuit de crue
En 2016, les crues de la Seine ont permis à pas mal de gens de faire des spots difficiles d’accès. C’est le cas de celui-ci, changement de l’A4 au périphérique, Porte de Bercy. Ce soir-là, avec Skpad, on a explosé toute la zone, avec l’eau qui submergeait l’autoroute et la route qui émergeait de l’eau en sortie de tunnel. Une vision presque apocalyptique, magnifique. On a croisé quelqu’un aussi, on a discuté un peu, et il est allé faire la place à ma gauche quand nous on repartait en quête de spots. Globalement, j’aime bien faire les autoroutes en région parisienne, le seul souci c’est de trouver des places sans repasser, mais ça, il y en a qui s’en cogne…
#9 Ivry Zoo
Je ne compte plus les pièces que j’ai peintes à Ivry-sur-Seine, un terrain de jeux idéal, dans lequel j’ai pu revenir peindre quatre ans plus tard pour voir mon évolution. Dans ce spot, j’ai dû faire une dizaine de pièces entre 2014 et 2017. J’ai fini par rencontrer la commerciale d’un des deux chantiers. Ça m’a permis de donner son nom aux ouvriers pour leur expliquer qu’on m’avait autorisé à peindre tous les murs.
Quand je suis arrivé dans l’autre chantier, ils m’ont expliqué qu’ils ne la connaissaient pas. En discutant avec eux, on a pu peindre tranquillement toute la journée avec Pirock, Papa. J’y suis retourné avec Slurp, Roby et Ckeja plusieurs fois. Le plus drôle, c’est que de l’autre côté du mur vierge qu’on tapait, bière à la main, il y a un squat, entièrement peint comme un terrain. En terme de peinture, ce fût une époque assez prolifique et inspirée par les haïkus. J’essayais des techniques mixtes avec des pinceaux, des spalters, des brosses, un balai tout en utilisant des caps de biais.
#10 Perdre à quatre contre un
Ils refont le quartier du pont de Charenton. Comme ce n’est pas loin d’Ivry-sur-Seine, je le remarque assez vite. C’est un énorme pâté de maisons qu’ils rasent au fur et à mesure. Quand ils ont commencé, j’y suis allé tout seul. Les places étaient petites à cause d’une architecture de cours intérieurs complexe. Sur cette photo, on voit ma première pièce, en chrome contour cerise foncée, au milieu.
On y est retourné avec les QCK, Rebus, Cola, Roby, et Slurp. J’avais remarqué qu’ils avaient cassé certains murs et ouvert des places. J’ai fait une peinture à l’extérieur du bâtiment, deux à l’intérieur, une sur le mur porteur en bas et un flop en haut. Quelques jours plus tard, ils cassent le bâtiment et les peintures de Roby, Cola et Rébus sautent, ce qui me laisse une nouvelle place pour un graff rose contour vert. En plus, j’ai la chance que le mur porteur ne soit pas arraché. Du coup, j’ai un alignement de quatre graffs, côte à côte, visibles de la rue. Il y a tout de même un gros tas cailloux devant, mais je me dis que ce sera vite évacué.
Quand je reviens quatre jours plus tard en me disant que je vais sûrement avoir une photo mortelle, toute la palissade est détruite, le mur porteur arraché, et il ne reste qu’un seul graff visible, mais pas de moi. Slurp avait peint la place la moins exposée au départ, cachée par un mur de la rue. C’est la peinture qui a subsisté pendant des mois, en plein milieu du carrefour du pont de Charenton.
#11 La caverne d’Ali Baba
J’ai repéré ce mur avec Rébus et Robe, mais on était trois et je voulais le faire seul. On est tombé juste de l’autre côté, sur une station-service à l’abandon en pleine rue, dont on voit le toit bleu. Un spot de rêve. On est quand même entré dans l’espèce de garage au bout, puis, dans un hangar, une véritable caverne d’Ali Baba. On y a trouvé de tout. Des chaussures par centaines, des tables de bistrot en marbre, des vélos, des verres de bière dans lesquels je bois encore aujourd’hui. J’y suis donc retourné quelques jours plus tard avec Ckeja. A notre arrivée, le mur était envahi de pneus dont on voit une infime partie sur la photo. Au bout de quinze minutes de lutte avec ces merdes pleines d’eau qui pèsent une tonne, les flics débarquent.
Mais, comme on est à Vitry-sur-Seine, capitale de banlieue du triste art, en été l’ambiance est détendue. Le mec me demande ce que je fais avec les pneus. Je luis dis que je suis en train de libérer le mur que je vais peindre. Il me parle des œuvres faites par les artistes en ville. Je lui en remets une couche sur le plaisir d’embellir nos villes dortoirs. Il est très satisfait et m’explique que c’est le gars de l’autre côté de la rue qui pensait que je volais les pneus. Sérieusement ? J’ai pu peindre tranquillement, avec un genre d’échafaudage et une échelle trouvée dans le hangar d’ Ali Baba. C’est une peinture dans laquelle j’ai essayé pas mal de choses, dont un mélange entre typos et mouvement énergique bien trop emprunté à Roby.
#12 Faire différent
Aujourd’hui, c’est la recherche qui me motive le plus dans le graffiti. Faire différent, faire personnel, en un mot : faire. Je ne suis pas sûr de beaucoup aimer cette peinture. Mais certains détails me plaisent beaucoup. C’est une de mes pièces les plus récentes et elle représente plutôt bien la direction que j’ai prise.
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