En 86/87, je me rappelle faire des tags Skin Ska à la bombe dans mon collège en 6ème, après avoir vu un reportage à la télé et n’avoir aucune idée de ce que cela veut dire. Je découvre alors le mouvement Hip-hop et je fais mes premiers tags vers 13 ans en 88/89 avec Neroy et Run. Des pseudos comme Type2, Naro. Je suis un Toy, je vis à Gisors, à quelques pas du dépôt de train, qui est alors notre terrain de jeux.
Puis je rencontre Stero et les LTK, au club de Rugby de Pontoise. C’est aussi dans les vestiaires que je vois pour la première fois Subway Art. Tous les joueurs du club sont plus ou moins des tagueurs. Le bus qui nous amène faire les matchs tous les weekends est mon ouverture sur ce qui se passe sur les murs du Val d’Oise et d’autres banlieues. Ces deux aspects influenceront mon graffiti à jamais.
#1 Opsen avec un P
Pour la petite histoire, quand je décide de choisir comme nom Opsen, je suis persuadé que cela s’écrit comme ça, avec un P. Pour mon premier graff seul, je fais un mur sur la Nord un peu avant Saint-Ouen-l’Aumône. Je vois une place vierge. J’y vais en semaine, deux heures de l’après-midi. Kesler FB m’avait fait une esquisse, un block letter, j’étais super fier. Je marche sur les rails puis je m’installe. Je fais mon esquisse à la craie (!) puis mon graff au cap d’origine entre deux klaxons de trains. Je repasse devant à toute allure et c’est le plus beau moment de ma vie. Le lendemain, je vois Stero, il est affolé, il me dit que j’ ai repassé un graf Lucid CUD (Criminel Ultra Dangereux). Je nie, il n’ y avait personne sur le mur. On repasse devant en train pour en avoir le cœur net et mon petit graff est en plein milieu de son énorme chrome ! J’étais tellement focus sur le mur, je ne l’avais même pas vu… Stero arrangera l’affaire pour moi et évitera que je me fasse défoncer.
#2 Banlieue Nord
Depuis 91 je suis en intermittence dans la banlieue Nord, Montmorency, Domont, Sarcelles-St-Brice. Je taggue beaucoup les intérieurs, quasi toujours seul. 1994-95 je fais souvent le layup d’Epinay, entre les deux trains en début d’après midi. Les trains sont super serrés, tu as à peine un pas de retrait. Mais cela te permet de faire quatre panels sur les quatre trains qui ensuite se séparent. J’ai la tête remplie des mythes des 93MC, des NTM de Gare du Nord, mais à cette époque c’est mort, je ne vois jamais de trains peints, seulement les miens… Les mecs actifs sont concentrés sur les voies.
On peut capter aisément les critères de référence esthétique de cette époque. Certains diront que j’ ai dessiné une poupée gonflable mais c’était censé représenter une fille opulente.
#3 Provocation
Cette photo a été prise par Rap, mon binôme de l’époque. Celui avec qui j’ai le plus peint et partagé sur le graffiti. On est en avril 96, c’était la sortie du 1er album de Doc Gyneco. Un vrai choc dans le milieu du rap français, une manière de jouer avec les codes du rap gangster. On se reconnaissait tous les deux là dedans, dans cette provocation. Pose de « lécheur ». J’y voyais aussi un lien avec ce que je voulais faire dans le graffiti. Connaître les règles pour mieux les détruire. J’essaie un truc avec ce graff. Ça ne marche pas vraiment, mais c’est bien symbolique de ma démarche. Choquer, être différent, me foutre de tout et m’amuser. Malgré tout, la photo est magique, avec le buff… et la main dans le caleçon. Les puristes apprécieront et les copines aussi ;).
#4 Passage de Clichy
Encore un de mes nicknames à la con, que j’ai du garder deux mois. Vers 98, le passage de Clichy était notre fief. Un passage de la largeur d’ une voiture, qui coupait l’avenue de Clichy du boulevard du même nom. Un vaste terrain vague avec un cirque miteux, des immeubles murés. Un zigzag / raccourci qui nous était réservé. Je vivais dans une chambre de bonne au-dessus du cinéma de la place Clichy, dix étages sans ascenseur. Pas de douche et un wc commun sur le palier. Quand je me suis fait perquise, ça a duré cinq minutes tellement c’était petit. À un sprint de la gare Saint-Lazare. Une enjambée du boulevard. Le Castorama à un pas, le tabac ouvert 24h/24, le Quick et le grec-frites. On y peignait tout le temps, fumait, buvait, se battait, dealait parfois, dépouillait souvent et rigolait beaucoup. Les riverains nous détestaient. On ne comprenait pas pourquoi… C’était où battait le cœur des UVTPK de l’époque.
Dédicace aux soldats du passage de place Clichy Salo, Kilo, Gaz, Erol, Eyone, Takl, Frez, Semee, Kiss, Dok et tous les autres.
#5 L’Écho des Savanes
On est en 97, à plein dans le dépôt, probablement une quinzaine, peut être plus. Il y a aussi un photographe qui fait un article pour le journal VSD. Je ne me rappelle plus des détails, ni même si l’ article a vu le jour mais si quelqu’un retrouve ce gars ou ses photos, contactez moi ! Je fais même une dédicace VSD sur le wagon. UV n’existe que quelques mois après.
On prend le quai à quatre pour faire deux Whole Cars. Je crois Gaz, Cezam, Club et moi. Les autres explosent le dépôt en panels et tags (Babs, Fast et d’autres). Je m’inspire d’un dessin que j’avais vu enfant dans le journal l’Écho des Savanes, une girafe sur laquelle un gars étend du linge. La ref était déjà super abstraite dans ma tête à cette époque. Lettrage intérieur red Krylon, contour Aspect Chrome (tous volés au BHV), c’était mon combo couleur de cette période. Je testais des choses, cela marche bien pour ce graff, ça n’a pas toujours été le cas.
Je me rappelle de Fast qui surgit d’entre les deux trains pour demander « qui a fait cette girafe ? C’est complètement ouf ! ». Ce n’était pas le genre de trucs que l’on voyait à l’époque sur les trains. Et je pense qu’il réunit tous les critères de ce que j’ai baptisé Ignorant Style.
#6 Barcelone
Je ne me rappelle plus trop la date. Probablement 2008. J’étais avec Afiler, Trane, Drag et Salo. Juste avant de descendre peindre, on s’installe dans une auberge de jeunesse près des Ramblas. On est à cinq dans une chambre de trois lits et le gars de l’accueil, après plusieurs rappels et engueulades, finit par nous jeter dehors, Afiler et moi. On décide d’aller chercher des bières pour revenir quand il se sera calmé. La rue est en travaux, le trottoir se rétrécit, entre deux barrières, pour ne laisser la place qu’à un seul passant. Un grand gars déboule du coin de la rue avec un tesson de bouteille à la main et directement se jette sur moi, me prend par le col et me menace de me planter le visage avec le tesson. Son pote se jette sur Afiler. Les gars sont apparemment sous l’emprise d’ une drogue puissante et agissent sans trop de cohérence mais avec la détermination de la fonsdé. Afiler se débarrasse assez rapidement de son adversaire qui s’enfuit en courant; il se munit alors d’un manche à balai pour venir m’aider. Je m’entrainais et combattais régulièrement en boxe thaï à cette époque, donc j’étais censé devoir me débrouiller avec ce gars facilement. Pourtant ce ne fût pas le cas. J’immobilise sa main qui tenait son arme et lui assène des dizaines de low kicks pour le faire lâcher prise, Afiler lui met des coups de bâton sur la tête en même temps. Mais rien n’y fait, le mec est en transe, c’est comme si nos coups ne portaient pas. Finalement après plusieurs minutes de ce régime, il lâche enfin le tesson, continue à prendre des coups et marche dans la direction de l’hôtel au même instant où nos potes sortent pour nous rejoindre. Leur incompréhension à ce moment lui a probablement sauvé la vie. Il a dû quand même se réveiller le lendemain avec de bons hématomes…
#7 PSL 1999
Celui-là, comme beaucoup à cette époque, a été fait à Cergy, en fin de matinée. C’était la maison, on sautait le grillage au niveau du pont et on peignait. Aucun stress, juste à se mettre d’ accord pour se partager le quai. Ce personnage est directement inspiré de l’ambiance du perso top-to-bottom eat shit de Reas AOK. J’ai pris la photo à quai à Saint Lazare aux heures de pointe. Après avoir passé notre après-midi à voler dans les grands magasins, on a probablement rejoint l’équipe et traîné sur le boulevard de Clichy, à boire, rigoler et dépouiller les touristes. Le quotidien de cette époque.
#8 Ange ou Démon ?
Partie d’un One Man Whole Car. RER C, début 2000. Un double Fuzi avec ce perso au milieu. Je l’ai improvisé sur place. Un ange urbain, un message clair pour tous. Nous ne sommes ni des anges ni des démons. A cette époque, le RER C est totalement éclaté. On passe tout notre temps à peindre dans les nombreux dépôts et layups que totalise cet énorme réseau, courant des banlieues ouest, du nord au sud et traversant le cœur touristique de Paris. Aux heures de pointe, mon ami de l’époque Rap et moi-même sommes très souvent à la station musée d’Orsay pour prendre des photos de nos pièces ou de celles des autres. Il est très rare qu’un train arrive en station sans un graff dessus. De nombreux whole cars et panels top-to-bottom roulent des mois. On peut enfin s’exprimer et voir nos pièces tourner. La compétition est rude. Tout le monde veut peindre sur la C. Les mecs viennent de toute l’Europe pour y poser leurs noms. C’est un Hall of Fame à ciel ouvert. Sous différents pseudos, principalement Fuzi, Myth, Voyou et Moloss, je n’ai pas donné ma part au chien (ni aux chiennes d’ailleurs) et probablement réalisé mes pièces les plus abouties sur trains.
Pour te donner l’ambiance, un jour, on peint des whole cars avec Babs, Rap et d’autres dans un gros podé. Le maître-chien arrive, je me dirige vers lui en l’insultant pour le faire fuir. On finit rapidement nos pièces, on s’en va en traversant les rails à la vue de tous. Au moment de rejoindre la route, on croise une bande de jeunes, cachés dans les buissons, qui vont aussi peindre. On ne leur dit rien de la situation et on leur souhaite bonne chance…
Dédicaces aux gens actifs de cette époque Babs, Erco, Trane, Kroe, Tirz, Songe, Mech, Kiss, Dok et aux autres. Oneax Kidz Thug Mock VF See Amine Arom RDK 1K etc.
#9 Aux chiottes
Taguer dans les trains de la ligne était notre quotidien. Tout recouvrir, extérieur intérieur à l’instar des photos du métro de NYC, c’était le but. Des techniques s’imposent. Passer son corps par les fenêtres en fait partie. Rien de bien compliqué, tu prends tes bombes, tes couilles et pendant que le train roule tu passes la moitié de ton corps par la fenêtre, tu poses ton cul sur le rebord et tu as la place de faire un gros tag ou un flop. Tu évites de te faire couper en deux par un train ou de te prendre un poteau à pleine vitesse. Puis tu reviens à l’intérieur du train, les oreilles qui sifflent, les yeux qui pleurent, de la peinture plein ta parka, tes mains et tes oreilles mais tu as une place que les nettoyeurs ne viendront pas frotter (ou très mal). Il ne te reste plus qu’à cartonner les intérieurs à la baranne avant d’arriver à destination.
Dédicaces aux tagueurs des trains de banlieue qui, dans l’ombre, font vivre le graffiti.
#10 Scoop !
2003. En rôdant, je vois ce métro là où il ne devrait pas être. Ce modèle chrome est cool et rare. J’appelle le copain Trane, on descend par le quai, le sac en plastique à la main. Un panel chacun en plein après-midi. On sort le mini Olympus volé, clic clac Kodak. Je pose torse-nu façon boxeur. Trane prend des poses plus « contenues » et on dégage. Rien à signaler, comme la plupart du temps en fait. Je ne crois pas avoir fait une goutte de sueur sur ce plan là. Direction rue de Rome pour faire développer les photos et attendre trois jours pour voir le résultat…
#11 Dirty South
2017 avec les amis du Sud, le Dirty South. Perpignan, le centre du monde, ma seconde ville de cœur après Paris.
Une autre ambiance, d’autres stratégies pour peindre mais de vraies amitiés et de vrais passionnés qui n’ont rien à envier aux plus grands cartonneurs parisiens. Est-ce que le graffiti ne doit se passer que dans les grandes villes ? Est-ce qu’une carrière en province vaut les brillances de la capitale ? Est-ce que l’on doit se brûler les ailes sous les lumières des mégalopoles pour réussir ? Les TER ont leur charme, leurs mérites et des légendes naissent sous tous les soleils.
RIP les Z2. Dédicaces Ninja, Smole, Afiler, Roti et les autres provinciaux.
#12 Evolution
J’ai évolué et me suis épanoui dans différentes directions artistiques (Tattoo, art, photographie, édition, écriture etc) mais le graffiti est toujours resté à mes côtés. Une base solide sur laquelle je me suis appuyé pour appréhender le monde. J’ ai vécu son évolution depuis maintenant plus de trente ans et je me réjouis de la richesse de ce mouvement. Je suis fier d’ avoir été et d’être toujours un de ses participants.
A travers mon podcast, j’ai essayé (une fois l’enfer d’écouter sa propre voix surmonté) de donner la parole aux autres. A ceux que j ‘ai côtoyés ou avec qui j’ai peins. Par exemple Eyone, qui nous parle de l’ époque sauvage de la dépouille et des bagarres, ou Babs et son parcours toujours de vandale lié au Rap Français et à sa ville, Vitry.
On y parle de graffiti bien sûr mais surtout de l’esprit graffiti. Celui de liberté, de rebellion et de créativité; que l’on peut retrouver dans d’autres disciplines ou dans d’autres personnalités. Ça se passe ici… Bonne écoute, et faites tourner !
Pour plus de photos inédites de cette époque : banlieue_analog
Mon site : Fuziwashere