Lorsqu’on me demande comment tout a commencé, je reste sans réponse concrète. Je lâche en vrac que c’est un délire avec des potes ou que j’étais bourré… Je devais surement l’être. J’ai pas trop de souvenirs. Heureusement, il me reste plein de photos pour situer mes débuts. Fin 2012, je chope le virus du roulant. A partir de ce moment, je ne pense plus qu’à ça. En plus, à cette époque j’habitais à moins de cinquante mètres du dépôt dans lequel je me suis formé.
Au début, j’ai essayé de comprendre la scène et je me suis imprégné de ceux qui me fascinaient. Je suis tombé sur des classiques et des contemporains qui sont à fond sur les réseaux sociaux. Médiatiquement parlant, 2013 a été une grosse année pour le Graffiti. Bonne synchro, je pète un câble. Grosse dépression, je ne supporte plus les bancs de la fac, ni les personnes qui vont avec. Ça y est, je vote Graffiti, photographie et tout le package. Une fois lancé, je tombe un peu dans la délinquance. Je péta des GoPros, des appareils photos et plus gros si je peux, ce qui explique les paramètres et les qualités différentes de mes photos. Au final, après plusieurs centaines de gigaoctets de photos et de vidéos, je me rends compte que ce qu’on fait est juste une des occupations les plus dénuées de sens, mais une des plus libératrices et une des plus épanouissantes.
#1 Le début d’une passion
Ce jour là, c’est ma première fois en tant que chasseur de métro. Je suis un petit jeune qui débute. Hyper motivé, je ne cherche qu’à vivre des sensations fortes. Grosse rencontre avec un de ceux qui sont au top. Je lui parle de mes actions en province entre Saint-Brieuc et Cholet, lui me sort Kiev, Ankara… Donc j’écoute et j’observe. Il a dix ans de plus que moi et je le sens dix fois plus motivé que moi. Je réalise ce qu’est vraiment la passion du Graffiti. Ce genre de choses, on ne s’en rend vraiment compte qu’avec le temps. Il est 7h26 au moment ou je prends cette photo et il fait -10°. On a passé la nuit autour du dépôt, je fais le chaud pour suivre la détermination du gars qui est prêt à tout pour cocher ce système. Mais au fond, je veux être chez moi avec mon chat.
#2 Dans le virage
Le petit virage que beaucoup connaissent. Soit en mode Usain Bolt, soit en mode tranquilou. J’ai toujours adoré cet endroit, je l’ai rodé au maximum pour pouvoir être zen une fois à l’intérieur. Mais j’ai jamais compris un truc. Pourquoi n’ont-ils jamais mis la caméra du coin dix mètres plus loin pour nous avoir en plein drift sur les rails ? Chelous les stibards !
#3 On dirait le Sud
Une petite soirée pour profiter du printemps. Les sourires chaleureux du Sud, un petit Z2 tout propre, de la lumière… Que demander de plus ? Il y a même le match Tinder qui m’attend en after, idéal.
#4 Autofocus
Des photos floues j’en ai des tonnes. Appareil photo mal réglé, parce que pas le temps… » Fast man, c’mon my friend!! » Alors je mitraille en joggant. Même le 5D, il ne fait pas le focus. Ma foi, ça donne un petit style, pour avoir un truc à raconter le soir du vernissage. Surtout quand c’est pris à Rome, ça change tout. Un séjour fait de pur hasard et de rencontres folles. Une ville de fous.
#5 Chassé-croisé à Hambourg
En plein mois de Juillet, il pleut des cordes, la météo est idéale pour une mission U-Bahn. On est en train de prendre le petit déjeuner avec mon pote. On se motive et c’est parti, on planque dans la caisse une bonne heure pour voir comment ça se passe. Après un moment, on aperçoit deux gorilles de la Hochbahn-Wache, je spécifie parce que c’est pas les clowns de la sécurité en veste fluo des stations, sortir de derrière une des maisons qui fait face au dépôt et venir dans notre direction.
On se regarde, mon pote me sort : « let’s fight if they talk to us. » Genre, on se tape vénère pour faire crari on surveille rien, on est juste venu se garer là. Les mecs se rapprochent vraiment vite, alors je commence à gueuler. Je sors, je claque la porte, je vais du coté conducteur à fond dans le rôle.
A ce moment-là, j’entends une des voitures garées sur l’allée partir sur les chapeaux de roues… Les cons, ils partent en intervention. On se regarde, ça prend les sacs, ça court, on se tape des barres. Le panel est rentré. Je me suis toujours dis : imagine, en fait ils nous avaient cramé depuis le début, c’était une feinte pour nous choper en flag. Quelle chance quand même.
#6 Quand les plans s’enchainent
« Oh gros, tu fais quoi, t’es libre on se fait un bail ? »
« Ouais, mais deuspi, j’ai natation. »
Cet après-midi, c’était n’importe quoi. On ne fait que courir. On peint deux pièces chacun à chaque fois. Huit minutes chrono, à peine le temps de mettre des lights, un coup de flash et on cavale encore. Au final, mon pote n’est pas allé à la piscine. On a fini par boire un coup dans le 18ème. Score final : six pièces en un après-midi. Le dossier GDN gonfle vite en fait. Mais la bière et les photos sont bonnes.
#7 Metro Jam à Athènes
Cette photo est encadrée et accrochée dans mon salon. C’est ma petite réussite photographique. Gros délire, soixante-deux graffeurs en tout. Là, c’est de la dégradation en réunion. On reste en silence trois heures dans une antichambre entre les portes de la sortie d’urgence. Au signal, les portes s’ouvrent, on descend quatre étages, on franchit les barrières.
Avec l’écho, les murs tremblent. Ça pousse des cris, des phases dans toutes les langues. Chacun a un espace déjà dédié, il n’y a plus qu’à. Grosse organisation : sur les rails les mecs en solo, sur le quai les crews pour faire des whole cars. Les crews les plus rapides font des lettrages magnifiques en dix minutes, avec dans leur fond l’horizon d’une grosse ville, des palmiers et des couleurs de fou.
Il y a tellement de vapeurs de sprays qu’on ne voit plus l’autre bout de la station. L’alarme gueule, tout le monde rigole et on s’en fout. Normal, on est soixante. Il va leur falloir l’anti-émeute à 3h du mat dans une station de métro. Va expliquer ça à ton chef au talkie-walkie… J’imagine le bordel au poste. Petite sortie zen, chacun dans sa caisse ou sur son scooter. Gros défilé de mariage en centre-ville, ça klaxonne, ça crie des Metro Jam!!!! Un vrai bonheur.
#8 Perdu en Silésie
Pologne profonde, heureusement on est en été. La ville la plus proche est à quarante kilomètres, apparemment c’est un des plus gros dépôts d’Europe de trains de l’ère communiste, c’est plein de locomotives rouillées bleu ciel et kaki. Ça sent la moisissure, l’huile de moteur, l’herbe mouillée. Ça fait trente ans que rien n’a bougé. Il est là le petit rouge, le fameux EN57. Chanceux que je suis, il est totalement propre. En Silésie, les circus se comptent en année. En 2018, mes deux panels tournent encore. Le coucher de soleil est magnifique, je regarde autour de moi c’est paisible et pas rassurant du tout.
#9 Berlin Calling
En fin d’après-midi, je passe au shop et je choisis mes couleurs. J’ai rendez-vous à 19h sur un parking en banlieue Berlinoise pour une session assez spéciale. Tous les membres d’un des plus gros crews d’Allemagne sont enfin tous réunis. Pour fêter ça, ils veulent défoncer un S-Bahn sur le spot à l’origine d’un beef entre les deux plus gros crews allemands, grosse provoque à ce niveau.
Donc en y participant, je choisis mon camp, à la Booba/Kaaris. Action digne des plus grands, chrono en main, tout le monde sous kit mains libres avec un paquet de choufs en ligne. On me laisse bien volontiers la tête, vu qu’elle est proche de l’endroit où ça risque de débouler. Je veux ma photo et je suis jeune. La moitié du groupe dépasse les trente-cinq ans donc ça va, il y a moyen que je tienne le rythme malgré tout, avec le papa du crew qui a quarante-sept ans au moment des faits.
Mais comme prévu, tout est au top. Le wholetrain est là. Ça repart à travers une forêt extrêmement dense, il fait sombre, on voit à peine, personne ne parle. Cinq voitures attendent dans une petite clairière, j’ai l’impression d’avoir participé à un braquage tellement c’est parfaitement organisé.
Chaque voiture repart dans une direction, je ne comprends rien tellement tout se passe vite. On roule à plus de 200 km/h sur une petite nationale en gros break noir mat. On croise une voiture de la police gyro allumé. Ça gueule des trucs en allemand, je comprends qu’ils ont extrêmement bien organisé la chose, et je sens que c’est bon je peux me relaxer dans cet intérieur cuir, siège chauffant avec chauffeur pour finir la soirée à Kreuzberg.
#10 Marseille sous la pluie
J’ai très peu de souvenirs de cette soirée, je ne sais plus comment tout s’est organisé ni comment elle a fini. Tout est très vague, je sais juste qu’il pleuvait comme jamais et que j’étais trempé. Heureusement que j’avais une deuxième paire de chaussures dans la voiture. Le gars s’est mis à balancer de la peinture vinyle sur le métro pour remplir plus vite, vu qu’au rouleau ça ne tenait pas. De toute façon, rien n’a tenu. Ça donne un style.
#11 La Bretagne ça vous gagne
En Bretagne, l’hiver est rude mais je n’ai pas assez d’alcool dans le sang. Un plan d’apparence faisable mais assez fourbe, connu pour les planques et les visites surprises de la ferro. Donc, comme d’habitude pas de félin, souffle coupé, caméra en place, les doigts gelés, un inox brillant comme jamais.
Le détail qui tue : j’oublie avec mon collègue qu’on avance d’une heure. Du coup quand il est 4h du matin pour nous, il est 5h pour les cheminots qui entrent en gare. On est au sol, on se regarde, on attend plusieurs minutes. Je tiens à finir ma pièce, sachant que j’ai mis un whole car sur le train d’à coté.
Ils ressortent en habit de travail et repartent sans remarquer les panels qui sont sous les néons à deux voies d’eux. On finit en vitesse.
#12 Comme à la maison
Après avoir passé cinq années dans cette ville, je pense que parmi toutes les photos de cet endroit, c’est ma préférée. Je l’ai vu vide, blindé de TGV, en travaux et j’ai toujours adoré y être et l’observer. Tout à commencé là, j’y ai photographié ce que j’aimais faire : peindre des trains, des panels, des whole cars, des wholetrains , des end-to-ends, des backjumps, en journée, deux fois, parfois quatre fois par jour. J’y ai baisé aussi, organisé des soirées dans les Z2 sous lampe de cheminots rouges. J’ai longé les allées en vélo sans m’inquiéter des sécus. Je connaissais toutes les voitures de la zone, j’avais tracé un petit trait au même endroit sur toutes les voitures que je voyais garées dans le dépôt. Au bout de quelques mois, j’étais sûr de vite repérer les intrus. Quand je m’ennuyais le soir, j’allais y faire un tour. Je m’asseyais sur les marches des cabines et je glandais dans le silence. R.I.P. à mes petits Z2.
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