Je commence à m’intéresser au Graffiti fin 2002, un peu par hasard en tombant sur le book d’un mec assez actif sur trains chez moi à cette époque. Le schéma classique, je m’y mets dans la foulée un an plus tard en rencontrant des tagueurs à l’école. Je pense que ce qui différencie vraiment mon parcours et celui de pas mal de gens de ma région, c’est notre localisation géographique, provinciale, qui nous a poussés à bouger toujours plus pour se faire remarquer, en peignant sur tous les types de supports.
N’ayant pas les avantages des grandes villes en terme de terrains de jeux, ce détail a vraiment orienté ma pratique du Graffiti, et ma curiosité en même temps. D’abord de ville en ville puis de pays en pays. Du genre, un peu partout et nulle part à la fois.
#1 Dépucelage sur Inox
Cette photo est une photo de l’originale en argentique d’où la qualité médiocre. C’est mon premier one man wholecar avec mon équipe dans un dépôt qu’on fait beaucoup à l’époque. C’est le dépucelage pour tout le monde, si je ne me trompe pas. On est six avec un seul Inox disponible. Il s’est donc pris un wholetrain sur les deux faces. Je me souviens avoir été chargé de faire les photos en station. Il y avait gavé de mecs de la ferro en gare, j’étais vraiment pas serein du tout. Mais voir arriver le bazar en station reste un bon souvenir.
Pour l’anecdote, on avait gentiment emprunté de la peinture pour marquage au sol à la SNCF. On l’a utilisé pour nos wholecars, un produit vraiment corrosif. Rien que de l’inhaler donnait un sacré mal de crâne. Le train est parti de la gare sans prendre de voyageurs, direction le buff. Le hic, c’est que cette peinture est tellement coriace que le train a circulé à moitié buffé pendant le restant de ses jours. Je pense même qu’une photo de ce wholetrain figure dans un des 12Shot que vous avez déjà publié. Quand les histoires se croisent…
#2 Coursade à Naples
La grande sœur de Marseille, la ville aux panini à cinquante centimes d’euro, aux rues coupe-gorge. C’est la ville que je préfère en Italie. Après quelques jours sur place, je me retrouve en station avec l’oncle Pauli , le Jisse et le Néné à attendre des circus, lorsque je tombe nez a nez avec un collègue bosniaque et un collègue serbe sur les quais. Ça fait toujours halluciner de croiser un pote étranger… à l’étranger. Ils sont avec un pote slovaque que je ne connais pas. Ils ont rendez-vous avec deux turcs pour faire le plan que nous projetons de faire avec l’oncle Pauli. On décide donc de se donner rendez-vous le soir même.
Le plan en question est en souterrain, mais l’accès se situe dans un des ghettos napolitains. On décide d’y aller avec cette équipe folklorique. Juste après cette classique photo, digne d’un cliché de pêcheur de truites, des travailleurs déboulent et on doit se barrer en courant. On escalade un mur et on atterrit pile au milieu d’une grosse équipe de lascars qui tient les murs de la tess.
A 3h du mat, autant dire qu’ils ne comprennent pas du tout d’où on sort, et ça n’a pas l’air de leur plaire. Tout le monde se mate pendant quelques secondes, comme dans une séquence de western. Ça semble durer une éternité. Dans la confusion la plus totale, vu que personne de notre équipe ne parle la même langue, on part en courant dans tous les sens avec les mecs du quartier en scooter qui nous poursuivent armés de bâton. Une coursade plus flippante qu’avec la sécu, quand tu connais l’ambiance de là-bas.
#3 J’éjacule du jus gluant
l’Auvergne et ses volcans, les meilleurs fromage, une région idéale pour se mettre au vert. La photo est d’une qualité pitoyable mais l’anecdote reste primordiale. Je me suis fais péter en faisant ce panel Alkpote. Au tribunal, le juge kiffe le style et se lance dans un débat sur le sujet art ou vandalisme.
Du coup, la procureur, pour le faire redescendre lui balance : » ne vous y trompez pas, les couleurs de ces graffitis cachent des messages odieux tel que : Alkpote ! Sucez ! J’éjacule du jus gluant ! Oviol ! »
Un moment grandiose. J’ai failli me pisser dessus. Alkpote aurait été si fier. Mec, j’espère que tu liras cet article.
#4 Avec les clandos à Patras
Mon premier séjour en Grèce avec mon frérot Ylias et Sekte. J’ai particulièrement apprécié l’huile d’olive, l’ouzo et la sympathie de la population locale. A peine arrivé en bateau, force est de constater que beaucoup de réfugiés tentent de rejoindre l’Italie par le port de Patras. Je note que le dépôt est également juste en face du port. Lors de notre première biture en ville on croise par hasard Tek, un graffeur qui, d’après la couleur des murs, semble être le taulier de cette bonne vieille bourgade.
Quelques jours plus tard, accompagné de son acolyte Blodo, fils d’un cheminot local, qui connait tous les horaires par cœur, il nous emmène dans ce dépôt. On fait ce panel dans ce lieu reconverti en dortoir sauvage pour une quantité invraisemblable de réfugiés. Ils dorment sur les bases de frets juste derrière nous pendant qu’on peint. Une atmosphère vraiment particulière qui m’a marqué. En échange du check, le fils du cheminot fait un panel avec les fins de sprays de tout le monde.
#5 Sorcellerie à Madagascar
Pendant un séjour à Madagascar, je me retrouve non loin de Foulpointe, une plage désertique avec des langoustes et du poisson au rabais. Je me débrouille pour dégoter une bombe de noir locale et un peu de peinture acrylique et je trouve ce petit mur tranquille, tout près de mon spot de baignade, à coté d’une maison en ruines. J’attaque ma peinture quand un vieux sort de sa cabane en taule et vient m’alpaguer. Il faut que je précise que les malgaches sont très superstitieux et très portés sur le mysticisme et la sorcellerie. Le mec me dit que le propriétaire de la maison en ruines et du mur que je peins est mort brulé vif dans sa maison dans une sordide histoire d’adultère et que je suis en train d’attirer les foudres et le mauvais œil.
Et là, carrément, le mec décide de me maudire, comme ça, normal. Il se barre et je décide de terminer ma peinture. Mais l’ambiance devient vraiment étrange, pesante. Au moment de la photo, la météo est vraiment optimale. Sauf que tout d’un coup c’est la tempête, le déluge, avec un vent qui arrache la toiture de la cabane du vieux.
Je dois rentrer en courant sous les éclairs. Quelques jours après une blessure bénigne s’infecte et je tombe malade avec de la fièvre. La malédiction venait juste de débuter.
#6 Bloqué à Zagreb
Durant un Interrail, j’apprends qu’un de mes potes est bloqué à Zagreb car il a oublié son passeport, le con. Hé ouais mon pote, tu sors de l’espace Schengen là. Ça tombe bien, je suis dans le pays voisin. Une fois sur place, on devient direct pote avec le gérant de l’auberge où on pionce, qui en échange d’un petit graff dans la cour, fournit whisky à profusion et un toit.
Dans nos quelques moments de sobriété, on se lance dans des excursions dans le dépôt du quartier. Pour cette action, on a été obligé de déguerpir à cause des travailleurs. Impossible de sortir par l’endroit le plus scred, on décide de passer au culot devant la cabane des sécus, en se faisant le plus discret possible.
Sauf que notre srab l’aubergiste sort de la guérite des sécus. Improbable ! Il nous voit et se met à gueuler « wesh les frères ! » dans sa langue natale tout en nous faisant toutes sortes de signe de gang, le con. Validé par notre gars qui bizznesse les places de parking du dépôt aux touristes, tout en reversant une com au sécu, on sort tranquille.
#7 Interrail karaoké
J’ai fait quasiment tous mes Interouilles avec cette équipe de bras cassés. C’était loin d’être triste. A l’époque on n’avait qu’une obsession, c’était rentrer tous les systèmes de karaoké d’Europe. Cette photo a était prise dans les toilettes d’un karaoké de la capitale slovène, à la déco suspecte. Ce soir là, on a tellement kické le spot que les gérants nous ont offerts des pichets de sky coca en masse. Il faut savoir qu’on envoyait bien alors qu’on ne parle pas un mot de slovène, ce qui en soit est une performance. Un bon souvenir parmi mille autres indescriptibles. Grosse dédicace à mes compagnons de voyage de cette époque.
#8 Peur sur Sofia
Cet été là, comme chaque année, je pars en Interrail. Deux jours avant mon départ, je me fais une méchante entorse. Je pars tout de même avec mon pote mais je suis obligé de me déplacer en béquilles. Après une bonne étape en Grèce, j’enchaine sur Sofia où je me rends pour la première fois. Une ville étrange à l’architecture soviétique. Un soir, je peins sur une avenue sans trop mater ce qu’il ce passe, les flics ne sont pas très zélés. Au moment de finir, je ressens une présence hostile. Je me retourne et je tombe nez a nez avec un Golgoth en rangers, torse nu, à 4h du mat. Portrait de tonton Adolf tatoué sur le plexus, la totale.
Le mec me baragouine que je fais des graffs antifas. Vu que je ne parle pas bulgare, je manque d’arguments. Le mec essaye de m’envoyer un grand pied-bouche direct. Il est un peu rabate, par réflexe, j’arrive à parer son coup de pied avec ma béquille et à le pousser. Je m’esquive en clopinant en sprint mono-pied. En m’éloignant, je vois le mec au téléphone en train de vociférer dans ma direction. Là, je me suis dit que tous les nazillons de son équipe allaient me chercher, alors que si ça ce trouve, il appelait sa meuf… J’ai donc rasé les murs jusqu’à l’endroit où je pionçais.
#9 Sous le soleil de Meknès
J’ai été pas mal de fois à Meknès au Maroc avec Sekte et des potes originaires du coin. J’ai rencontré Rabi, un mec bien, qui est un des rares graffeurs marocains. La scène Graffiti en est vraiment à ses débuts et les activistes se comptent sur les doigts d’une main, pour ainsi dire. C’est assez fou de peindre dans un contexte culturel si différent du notre et sur un territoire encore vierge. Il y a quelques années mon poto est décédé, je me suis rendu de nouveau à Meknès où j’ai rencontré ses poulains. On a fait pas mal de peinture ensemble. Ça m’a fait vraiment plaisir de voir leur motivation pour reprendre le flambeau.
Ces gars sont vraiment de la famille. Ils t’accueillent comme rarement, grosse dédicace à eux. Cet après-midi, on est tous allé peindre ce spot le long de la voie ferré, sous le regard bienveillant du vigile local qui kiffait grave. Il n’imaginait même pas que cela puisse être un délit. Tant que tu dépouilles pas son hangar. C’est dire le décalage des mentalités.
#10 Plan barbecue en Colombie
Santa Marta est une ville colombienne où les gens ne font que passer. C’est assez crade et crapuleux. Les flics font plus flipper que les crackers. Mais on peut y rencontrer des bons gars et il y a peu de touristes. En peignant à un carrefour, on rencontre un père de famille qui nous demande de peindre dans sa rue, en face de sa baraque. Si on est chaud, il sortira les enceintes et on fera barbeuk avec sa famille. Ce genre de propositions que t’entends que là-bas.
Le plan se déroule le lendemain. On se retrouve à discuter avec tout le tiekson, sur fond musical de salsa, tout en faisant nos graffs, pépère. La police a bien essayé d’intervenir, mais l’ambiance était trop funky pour qu’ils puissent faire quoi que ce soi…
#11 La légende de Bruxelles
J’ai beaucoup squatté à Bruxelles. En ce moment, le mec qui fait le plus parler de lui dans le milieu des amateurs de roulants, c’est pas un graffeur mais un putain de cheminot. Franchement, le mec n’est pas loin de devenir une légende urbaine. Même quand j’en parle dans le Sud, les gars en ont entendu parler. Il est trop déter et plutôt massif. Il a déjà capturé des gars, pris des sprays, distribué des tartes. Il fait aussi des planques. Il est aussi allé mettre des coups de pressions dans des terrains à des gars, comme un forcené.
C’est un genre de croque-mitaine local, si tu dis à un gueurta qu’il est dans le dépôt, il y a moyen qu’il ne peigne pas, ou alors il va faire super gaffe. Les histoires sur sa vitesse de course vont aussi bon train.
Je tenais à en placer une sur lui, car c’est un personnage assez exceptionnel et il fait partie du folklore local. Pour cette photo du panel pas fini, notre mascotte a fait une descente avec ses camarades. Je suis revenu la semaine d’après pour faire le même modèle, avec les mêmes couleurs.
#12 Lost in Translation
Mon dernier voyage, c’était en Corée du sud. Parfois, Il y a des nuits où il ne se passe rien de spécial. Se balader toute la nuit en vélo dans une mégalopole gigantesque, se perdre le long des rives du Han, arpenter les avenues désertes avec des milliers de magasins fermés et des grattes-ciels qui surplombent le tout. Il y a aussi toutes ces inscriptions incompréhensibles… On y ressent vraiment la distance qui sépare de son pays et de ses propres codes. Mais je me retrouve encore à faire des putains de stores. Peu importe où je suis.
Plus de photos de Oviol ici.