J’ai commencé le graffiti assez tard, fin 1998. Je suis passé par pas mal de noms jusqu’à Poes en 2005. J’habitais à La Défense et la ligne PSL était ma référence. J’ai découvert les trains en 2004. A Paris, on commençait juste à se remettre du choc de l’affaire de Versailles. Au début, tout ça me faisait bien flipper, et puis je suis un peu tombé dedans, et j’en ai peint quelques-uns pendant une dizaine d’années. Ensuite, il était temps de me faire oublier, l’heure de la retraite. C’est pas simple d’arrêter, mais je dors beaucoup mieux depuis que tous mes souvenirs sont prescrits.
Bizarrement, mes meilleurs souvenirs sont liés à des actions foirées, des coursades plus ou moins serrées, et pas mal de ces situations typiques qui sont vraiment impossibles à photographier. Je pense aux nombreuses fois où M. jetait des cailloux sur les maîtres-chiens ou courait après les chauffeurs. A cette fois avec B. où j’ai vraiment vu le MC de très près alors qu’on commençait un RER à quai, je pouvais voir toutes ses dents. Pareil à Milan sur la ligne Nord. Ou cette fois encore avec B. en train de checker le brouillard enfumé du dépôt de Crépy-en-Valois durant les émeutes, quelqu’un venait de mettre le feu à un parking de cars juste à côté. Pendant ce temps là, notre chauffeur en profitait pour doigter sa meuf dans la petite zone industrielle pourrie à l’entrée du truc. Ces GAV mémorables, ces nuits à picoler avec T. à l’arrière d’une voiture, ou celles à me forcer à sortir seul.
#1 Nuit de beuverie
On était parti avec Ber et Tombe sur les voies faire des chromes quand on est tombé sur ce Z 6400 abandonné pour la nuit, dans un spot vraiment inhabituel. On était vraiment bourré ce soir-là. Il y avait une soirée avec de la musique forte dans une maison juste derrière. On a peint assez vite, je crois que j’ai vomi un moment, Tombe s’est une fois de plus déboité une épaule en sortant. On a réussi à s’incruster dans la soirée où on a beaucoup bu. Au petit matin, le train avait disparu et on n’avait aucune photo, on l’a cherché, puis on est allé dormir. Au réveil, je n’étais plus du tout sûr de cette histoire de train, j’ai retrouvé Tombe qui dormait avec deux filles, et je suis rentré prendre une douche. Je suis tombé par hasard sur le end-to-end quelques jours plus tard. On a toujours été assez méfiant et parano, et ça nous a toujours sauvés. Pour brouiller les pistes on posait SDF plutôt que FAT sur les trains jusqu’en 2009.
#2 La revanche
Quelques jours avant cette action, je suis venu avec une équipe folklorique : un new-yorkais, un couple de berlinois, un toulousain et des potes, mais il y avait pas mal de travailleurs un peu partout. J’ai donc préféré les checker. On y retourne avec Bess prendre une revanche. L’inox est toujours aussi bien placé, en pleine lumière, en plein centre du podé, et avec du recul. Les graffs n’ont pas bougé, on décide de faire ça en deux temps. Je peins un gros quart d’heure pendant qu’il checke et prend quelques photos. Je prends cette dernière photo, et au moment où il va attaquer on voit deux voitures de la ferro descendre la petite côte de l’entrée, à quelques mètres. Courir vite, sauter dans la rue le bon gros mur du fond, se cacher dans les cités derrière. Et là, on doit retourner chercher le scooter, garé – super idée ! – dans le parking de la résidence des cheminots. Juste à l’entrée du dépôt et donc de la ferro. On fume, pas mal. On se décide à y aller en pensant qu’ils sont déjà partis. On prend le scoot, et on manque de percuter une des deux voitures au moment où on se casse : ces idiots repartaient en même temps que nous et avaient oublié de mettre leurs phares. Fraîchement radié, le train est finalement resté là en expo presque dix ans avant de finir au graffpark.
#3 La Micheline de Saint-Paul
En arrivant à Lyon je me rends compte que les locaux n’aiment pas les michelines, et se concentrent sur les inox. Perso, j’ai toujours eu une vraie passion pour les autorails, et bien sûr la livrée rouge et crème était magique. J’ai eu beaucoup de chance. Assez vite la SNCF a commencé à garer des trains tous les soirs à Saint-Paul, alors qu’avant ce n’était que très occasionnel. Comme j’habitais pas loin, j’y ai pris quelques habitudes. Quelques mois vraiment cool, avant qu’ils ne changent tous les modèles de la ligne. J’adore cette photo et l’ambiance de cette petite gare, un vrai saut dans le temps, qui évoque L’Horloger de Saint-Paul, un film de Bertrand Tavernier.
#4 Une nuit, trois panels
Dans le centre de la France, nuit sombre de mi-saison. Tout le long de la route, Dieu nous lance des lapins sous les roues de la voiture. C’est un festival, mais on sait qu’on n’y va pas pour rien. Modèles magnifiques, comme dans un rêve de gosse. Du haut de la petite colline, on dirait du modélisme. Calme plat dans le dépôt, on est potentiellement cramés au maximum mais prêts à courir, le premier graff rentre, le deuxième suit, le troisième à gauche pour finir les bombes, histoire de reprendre la route plus léger.
#5 Moustiques et crocodile
Bitch nous parle de ce backjump classique, à coté de la gare avec une bonne grosse route dans le dos et entre huit et neuf minutes de plaisir. On y court motivé avec Lapin et Ber. On part sur une pièce pas énorme à trois avec un fond crocodile, ça devait rentrer et être joli. Au bout de trois minutes, l’assistant-chauffeur-qui-sert-à-rien nous crame. Avec son pote, ils décident de démarrer le train, on se fait voler notre panel. C’était bien joué de leur part mais pas si réaliste. A cause du trafic, ils sont obligés de le remettre dans le tiroir. On a le temps de finir à l’arrache les contours en leur criant des joyeux « Kurwaaa ». Hélas, on n’a pas eu le temps de finir le croco. On a passé la nuit suivante à courir dans l’atelier avec des locaux sympas, une sécu très efficace et un nuage de moustiques. Les vacances idéales !
#6 Génération crise
Hiver 2010, La Défense, la crise, la révolte sous-jacente. Toute l’utopie de notre jeunesse passée en bas des tours, à se coucher à l’heure où les costards-cravates vont bosser. End-to-end fond usines noires. Avec Tombe et Ber, on n’avait pas eu le temps de trop le préparer celui-ci, mais le thème s’imposait. On nous parlait déjà de crise depuis tellement d’années, et finalement on nous en parle encore tous les jours. Génération crise, apparemment. J’ai toujours kiffé quand on arrivait à se motiver tous les trois, c’est génial de pouvoir faire pleine confiance aux gens avec qui tu bouges.
#7 La Quête du Scuba
J’ai beaucoup galéré avant d’arriver à peindre un Scuba comme j’en avais envie. Toujours des imprévus avec ce modèle, et pourtant c’est particulièrement celui-ci qui m’a hanté en Belgique, à partir du moment ou j’en ai vu un rouler vers Schaerbeek. Il y a eu pas mal d’années où j’y suis allé régulièrement, tellement pas loin de Paris avec son lot d’aventures marrantes. J’aime vraiment les belges. Ce soir là, je l’ai enfin avec un bon recul, dans un dépôt que j’aime bien, celui qui pue la mort à cause de la brasserie située derrière.
#8 Vandals Must Destroy
Rhône-Alpes, ça sent la fin des inox depuis pas mal de temps, déjà plein de rames radiées un peu partout. Plusieurs lignes résistent et il reste quelques spots. Gros brouillard, une longue nuit comme j’adore, les derniers trains encore roulants avaient tellement ramassé qu’ils étaient dans un état pire que ceux en casse. On est resté jusqu’à l’arrivée du premier chauffeur, la brume ne voulait pas se lever, c’était un chouette adieu.
#9 Serrage à la berlinoise
Banlieue Ouest de Berlin dans un spot bien connu. C’est au printemps 2012, je suis avec Ber on doit retrouver Spirit. Il est tôt, genre dix heures du matin, on a très peu dormi, pas pris de petit dej’ et surtout on a fini la weed la veille, donc on est vraiment à jeun. Action très imprécise pour Berlin, on attaque sans trop d’infos et on se fait très vite cramer par un S-Bahn en trafic. On finit au plus vite, rien comme prévu. Je prends des photos rapidos mais derrière moi la police roule en voiture dans le dépôt. On court, je n’ai pas le temps de ranger mon reflex dans mon sac. Je saute avec une main la première petite barrière de merde, sensation de chaleur, deuxième barrière, plus haute, j’ai le temps de ranger mon appareil photo mais je me rends compte que je me suis embroché sur la première clôture et ma main gauche pisse le sang. Je passe la deuxième en toute animalité, on court dans la forêt, les sacs de bombes volent un peu partout. On prend la voiture et on arrive à sortir de tout ça un peu par miracle, coin pas terrible genre bourgeois pavillonnaire. Direction les urgences, j’ai du sang partout et les vêtements déchirés. Les autres me déposent et vont fumer des joints. Temps qui s’arrête, joies de l’hôpital. A un moment donné, une porte s’ouvre sur deux officiers en uniforme. Je prétends ne pas parler allemand. Ils se contentent de me prendre en photo avec leur portable, mon jean plein de sang et mes ongles au passage, puis me disent au revoir et qu’ils vont me convoquer. Je comprends à leur conversation que les infirmiers m’ont dénoncé suite à un appel radio. Les deux flics sont ceux qui nous pistaient dans le podé. Ça pue, je propose aux autres de m’attendre une station de métro plus loin. Évidemment en sortant avec mon attelle, je me fais vite rattraper par les porcs, qui espéraient l’équipe au complet. Ils me ramènent à Ostbahnhof, je commence à un peu moins faire le malin. Ils sont plutôt courtois par rapport à nos flics, mais tellement plus pros. Ils ont tout récupéré dans la forêt, y compris mon gant plein de sang, passé leur appel radio aux hôpitaux, m’ont gentiment récupéré. Ils me proposent alors de payer une caution, sans me donner le montant… J’accepte, du coup le procureur refuse, dépôt à la prison de Tempelhof pour un court passage. Classique.
#10 Viva Gloria
J’aime beaucoup Bari et les Pouilles, on y mange particulièrement bien et les modèles des lignes privées me plaisent toujours autant pour digérer. Ce soir là, magnifique, les cigales, les mouettes. Ceci dit, en sortant de l’hôtel il y avait un mec plutôt junky qui dormait face contre terre au milieu d’un petit rond-point pas loin des voies, mais je n’avais pas de temps à perdre.
Le dépôt central de la FSE et les ateliers sont déserts, je suis absolument seul. Après un bon tour, je choisis les plus jolies têtes aux meilleurs endroits pour la lumière. Peinture tranquille, deuxième panel, je m’offre le luxe de passer une demi-heure de plus à fumer et prendre des photos sous tous les angles et toutes les poses à la con. Finalement, en repassant par le rond-point pour rentrer, il y a des flics partout, et un drap sur le mec qui dort. Je suis repassé finir mes bombes sur un des vieux double-étages au même endroit quelques jours plus tard. Au moment où j’allais finir mes lights, j’ai eu le sentiment d’être moins seul dans l’obscurité. Effectivement, sur ma gauche il y avait un gros porc en chemise blanche qui dégainait son flingue pour me braquer. Ce jour là, j’ai couru très vite et sans me retourner, et j’étais bien content d’avoir garé en début de quai Gloria, un BMX de petite fille « trouvé » dans un hall d’immeuble au début de mon séjour. Malgré ses petites roues, il m’a été très utile.
#11 Hiver sibérien
Hiver 2015, grande banlieue de Moscou. Après une première action foireuse qui s’est terminée en course de bobsleigh sans bobsleigh sur sol gelé au milieu d’usines bizarres, je me laisse retenter par l’aventure. Le retour, plan à trois avec les ORM. Fouiller une dizaine de jardins pour trouver un tabouret ou autre chose. Mais ils sont tous vides de tout depuis des années de graffiti. Trouvé un squelette de vieille télé soviétique, qui finalement s’effondre en moins d’une minute alors que j’essaie de tracer mon P. Du coup, tracer et remplir le bas des lettres en attendant l’échelle des autres. Moins dix degrés, doigts qui gèlent dans les gros gants, nuit noire mais pâle, lueur lunaire de la neige, bombes chinoises atroces : caps femelles, odeur putride et peinture flotte qui gèle direct. Je commence à maudire ce fond Kremlin avec ses putains de tourelles et cette idée de faire un end-to-end à deux alors que ces putains de RVR sont aussi longs que hauts. Je me souviens très bien de mon sentiment sur le coup, juste envie de laisser mon graff sans le finir, et d’arrêter tout ces conneries. Mais il fallait bien finir le fond. J’ai fait les pires contours crades de ma vie. En prenant les photos au flash on s’est rendu compte que j’avais contourné la tour centrale de notre Kremlin avec la même couleur que le remplissage, j’ai dû y retourner finir en dix secondes. Comme une locomotive de cheminots arrivait vite sur nous, on en a profité pour partir, passer la nuit dans la voiture – finir les bombes en faisant des throwups à l’entrée d’une gare pour rire et se réchauffer un peu quand même – et shooter quelques photos le matin. Je ne sais toujours pas comment Frukt a réussi à faire une pièce aussi belle et propre à coté.
#12 Fous ta cagoule
J’adore ces petits autorails Fiat aux proportions parfaites, plein de couleurs à collectionner. Ce soir là, dans ce dépôt que je connais plutôt bien, je fais seul mon petit tour cagoulé pour prendre l’ambiance. Je suis très souvent tombé sur des touristes d’un peu partout là-bas. Par expérience, une cagoule simplifie toujours la communication. Je vois trois italiens, dont deux assez calmes et le troisième pas à l’aise. Je leur montre une voiture qui fait un tour entre les ateliers. Le dernier mec décide de s’enfuir en courant, en faisant plein de bruit en sortant. Ensuite, peinture, tranquille. Les italiens finissent et je décide de rester faire ce deuxième panel et de profiter de la chaleur de la nuit.
Plus de photos de Poes ici.