Le graffiti m’a initié à la photo, j’ai commencé à utiliser des appareils photos jetables au début des années 2000 avant de me mettre au numérique. Marne-la-Vallée est alors un terrain de jeu idéal : une scène graffiti intéressante et des plans d’urbanismes liés à la ville nouvelle en perpétuelle évolution. La pratique photographique a pris de l’importance dans mon quotidien, au même rythme que le graffiti, à tel point qu’aujourd’hui, j’attache autant d’importance et de temps à certaines photos qu’à l’action qui la précède.
Il y a une dizaine d’années, un ami photographe me suit une nuit pour immortaliser une action avec un appareil argentique. En découvrant ses tirages je me rends compte que c’est ce genre d’atmosphère et de singularité qui m’intéresse : après des années à me trimballer de gros reflex numériques, qui finissaient irrémédiablement couverts de peinture ou cassés, je décide de me mettre à la photographie argentique. Avec mes numériques, je stockais chaque jour des centaines de photos dans ma carte mémoire, prises à la volée, sans même parfois foutre mon œil dans le viseur, pour n’en garder qu’une poignée, puis finalement passer du temps à les modifier sur mon ordinateur. Dorénavant, utiliser de la pellicule m’oblige à réfléchir avant la prise de vue, je me concentre sur le cadrage, sur le résultat attendu, surtout la nuit. Petits, légers, simples d’utilisation et peu couteux, je change régulièrement d’appareil photo argentique, je teste des automatiques point-and-shoot, mais aussi des modèles élaborés nécessitant une manipulation plus technique. L’excitation de devoir attendre le développement, l’incertitude du résultat et la surprise de tomber sur des prises de vue oubliées sont autant de raisons pour lesquelles aujourd’hui, j’ai totalement abandonné la photographie numérique.
#1 Zébulon
En 2009, j’ai croisé le Zébulon pour la dernière fois en condition réelle, dans son élément naturel et non exposé dans un hangar/musée. Ce jour là, j’ouvre la porte de cette station d’un autre temps, je descends les quelques marches et je tombe nez à nez avec lui. Les cinq voitures sont clinquantes, l’acier inoxydable brille de mille feux. J’ai pris cette photo avec un Nikon FE2, mon premier argentique (jetables exceptés). J’ai eu depuis beaucoup d’autres appareils, sans jamais retrouver un rendu pareil.
#2 Small World
Un coup d’œil à gauche, un coup d’œil à droite, il est encore tôt, l’activité bat son plein. Finalement, le culot l’emporte sur la raison. Le bruit de la bombe est masqué par les cris des touristes s’envoyant en l’air sur le Space Mountain et le sifflement d’un train à vapeur faisant le tour du parc. Magique. Les années ont emporté avec elles ces rames MI84, au profit d’une génération de trains à double étage ternes et sans saveurs. Certainement l’une de mes photos favorites, prise en 2008.
#3 Mise au point
Quelques minutes avant le méfait, sur le parking sordide d’une zone industrielle sans éclairage public. C’est le moment de préparer les sacs à la lueur des portables, de mettre en commun son matériel et de se donner les dernières recommandations.
#4 Voie royale
J’ai photographié ce garde en plein exercice de ses fonctions, surveillant des trains stationnés en plein cœur de Milan en 2009. Vigilance somme toute modérée : deux ou trois bouteilles vides de Birra Moretti au sol, des ronflements, les pieds nus… La voie est libre.
#5 Fidèle parmi les fidèles
Il n’y a pas grand chose à dire sur cette photo, elle parle d’elle même et fait elle aussi partie de mes favorites. Je l’ai prise avec un Olympus Mju-II, l’appareil photo argentique prisé par toute une génération de graffeurs. Le mien a rendu l’âme, mais compte tenu de la violence du traitement qui lui était réservé, il a fait le job pendant des années. Difficile de trouver plus fidèle compagnon tant son utilisation était aisée et son rendu plus que parfait.
#6 Le régional de l’étape
A peine le temps de commencer qu’une lampe torche apparait dans notre rangée et s’approche. On remballe et on part gentiment au trot. La parano l’emporte, cela se transforme en sprint à travers les voies, jusqu’à ce qu’un type tout de noir vêtu surgisse de nulle part face à nous, en nous demandant de nous arrêter. Il s’agit en fait d’un mec du coin, en chemin pour peindre et qui a reconnu un de mes amis. Cette nuit là, il s’en est fallu de peu pour qu’il se mange un high kick. Finalement, tout le monde reprend son souffle, on observe de loin ce qui n’était qu’une ronde. On revient sur le plan avec lui, pour un featuring improvisé.
#7 L’incendie
Ça glisse, des débris jonchent le sol et l’air est irrespirable, et pour cause : la suie est partout, le sol et les murs en sont couverts. Cette rame n’a pas échappé au désastre. Le feu a épargné la motrice mais l’a entièrement recouverte d’un film noir avec bien plus de violence et de singularité qu’un vulgaire pelliculage publicitaire.
#8 Malaka
Une photo qui ne mérite pas spécialement de légende, si ce n’est qu’elle a été prise avec un Ricoh FF3 à Athènes en 2017. J’ai acheté ce petit appareil argentique avant tout parce que c’est un bel objet. Je ne pensais pas qu’il allait me sortir des photos de nuit avec un tel cachet. En quelques clics, il a réussi à transcrire exactement l’ambiance de la soirée. Une belle découverte, qui mérite son award de Camera of the year 1984.
#9 Pèlerinage
Je me demande bien ce que pensent les salariés de cette société de ferraillage, paumée au fin fond du monde, en voyant défiler des tas de types en Air Max et North Face qui tournent comme des zombies autour de l’enceinte grillagée de l’entreprise. Leur région est à peine traversée par le train. Ils n’ont, pour la plupart, jamais vu de graffiti et sont à des années-lumières d’assimiler que ce que la RATP leur demande de désamianter/ferrailler déplace les foules. Choc des cultures.
#10 La chatte à Mireille
La classique mise en scène post action, à gonfler le torse en tapant des poses de héros des temps modernes. Je pose mon appareil (numérique pour le coup) et règle le retardateur. Involontairement, la mise au point se fait sur l’appareil au premier plan, floutant les protagonistes, pour un rendu plus intéressant que prévu au final. Un peu comme le mec qui plante un corner direct dans la lucarne opposée alors qu’il pensait mettre le ballon au six mètres.
#11 On persiste & signe
J’adore cette photo. Elle traduit exactement l’ivresse du moment, la photo elle-même semble saoule. Cette réunion des anciens combattants avait viré à l’état comateux pour certains, avant même que la peinture commence. Le nez planté dans l’herbe, KO technique.
#12 Cirque Pinder
L’histoire retiendra que le voltigeur en question, après s’être essayé à toutes sortes d’acrobaties, passera au travers d’une lucarne en verre, nécessitant son rapatriement sanitaire en France quelques heures à peine après son arrivée.
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