C’est la fin d’un procès retentissant à New York : un match qui oppose Jerry Wolkoff, propriétaire d’une ancienne usine abandonnée reconvertie en musée du graffiti à ciel ouvert, et 21 de ses ex-intervenants. Verdict : 6,7 millions de dollars pour les graffeurs… Le monde à l’envers ! Retour sur les faits qui ont abouti à cette incroyable décision.
Durant de nombreuses années, le propriétaire des lieux, Jerry Wolkoff permet aux graffeurs de peindre en toute légalité. Baptisé 5Pointz, l’ancienne usine abandonnée se transforme rapidement en Hall of Fame géant.
En 2002, la gestion du lieu est confiée à Meres sous certaines conditions : aucune référence politique dans les peintures, aucune référence religieuse, pas de pornographie. L’accès est réservé aux détenteurs d’un permis délivré par le maitre des lieux.
Meres juge de la notoriété et du talent du graffeur pour lui offrir un espace à peindre. On est loin de l’esprit anarchique régnant dans n’importe quel terrain vague. Visible du métro, 5Pointz attire dans le Queens de nombreux touristes en quête d’une image policée du graffiti.
Une cohabitation qui arrange tout le monde jusqu’en 2013. Avec l’explosion de l’immobilier et la gentrification, le proprio fait un calcul assez simple : détruire son usine désaffectée pour y construire de luxueux appartements… pour un coût total estimé à quatre cents millions de dollars.
Mais avant sa destruction programmée en 2014, Jerry Wolkoff a une drôle d’idée : repeindre intégralement en blanc tous les murs, de manière clandestine dans la nuit du 18 au 19 Novembre 2013.
Repeindre en blanc est une preuve d’humanité. Assister à la destruction des œuvres, morceaux par morceaux aurait été une vraie torture.
– Jerry Wolkoff
Un acte qui n’est pas du goût de tout le monde. En Novembre 2017, au cours d’un procès de trois semaines, une vingtaine de graffeurs intente une action en justice contre le propriétaire, en vertu de la Visual Artists Rights Act, une loi fédérale de 1990 qui protège les droits des artistes, même si quelqu’un d’autre possède l’œuvre d’art physique.
Durant trois semaines, un jury du tribunal fédéral de Brooklyn entend les témoignages et les plaidoiries des deux parties. L’avocat des artistes, Eric Baum, souligne que Wolkoff n’a pas donné à ses clients un préavis de quatre-vingt dix jours avant de tout repeindre en blanc, ce qui aurait pu leur permettre de récupérer certaines œuvres réalisées sur des supports amovibles. Une erreur qui va coûter très cher au propriétaire, trop pressé de se débarrasser de ses anciens locataires.
Le 12 Février 2018, le juge fédéral Frederic Block rend son verdict :
Wolkoff ne montre aucun remords, il a eu plusieurs occasions d’admettre que la destruction des œuvres était une erreur, ou de dire qu’il aurait fait les choses différemment s’il avait une autre chance. Mais Wolkoff s’en fout, comme il en a témoigné avec insistance. Le recouvrement bâclé a laissé les œuvres facilement visibles sous des couches minces de peinture blanche bon marché, rappelant quotidiennement aux plaignants ce qui s’était passé : les œuvres mutilées étaient visibles par des millions de personnes empruntant les rames de la ligne 7.
Wolkoff devra donc payer la modique somme de 6,7 millions de dollars aux graffeurs de 5Pointz. Son avocat, David Ebert, a fait appel… mais bon quand même, la décision est historique ! Et en France, les artistes pourront-ils porter plainte contre la SNCF lorsque L’Aérosol sera détruit ?