Bucarest, un système de métro intégralement peint depuis des années… Et un nom omniprésent sur toutes les rames : Mser, le King incontesté de la capitale roumaine.
Actif depuis une quinzaine d’années, Mser dédie sa vie à sa passion, peindre des métros sept jours sur sept. De passage à Bucarest, c’était l’occasion de le suivre pendant une journée, et d’en tirer une petite vidéo brute de décoffrage.
Ta journée classique, c’est quoi ?
Je n’ai pas de journée classique, j’ai des semaines classiques. Je commence ma semaine en prenant des photos dans le dépôt ou en station. Dans l’après-midi, je me lève en réfléchissant à la manière de gagner un peu d’argent ou de trouver des bombes de peinture pour les jours suivants. Je retrouve des potes, je vais peut-être peindre et je vais faire un tour. Le mardi, je me prépare à peindre ou je vais peindre. Mercredi pareil, j’essaye de peindre et je joue au foot. Dans la nuit je peins, puis je prends des photos. Jeudi, je me détends un peu, j’essaie de gagner de l’argent et de me procurer de la peinture. Vendredi soir, je retourne jouer au foot, la nuit je peins. Le samedi matin, je me détends. Samedi soir, je retrouve des touristes et on essaie de peindre ensemble. Dimanche, je peins plusieurs fois dans la journée et c’est la fin de la semaine. Le lundi, je retourne prendre des photos.
Comment expliquer à quelqu’un qui n’a jamais fait de graffiti ce que ça fait de peindre un métro ?
C’est assez compliqué d’expliquer à quelqu’un qui n’y connait rien ce que l’on ressent ou comment ça fonctionne. Dans un premier temps, il y a cette sensation particulière d’être dans un tunnel, de se sentir bien en peignant un métro, et ensuite de le voir circuler avec sa pièce. Pour la plupart des gens, c’est une perte de temps. Il faut passer pas mal de temps à leur expliquer la manière dont ça nous touche, qu’on angoisse si on ne peint pas et que ça peut nous empêcher de dormir.
Quelles différences y a-t-il entre peindre le métro de Bucarest et celui d’une autre ville ?
Je suis heureux de vivre à Bucarest. On a de la chance de voir nos pièces circuler pendant des années. Il y a deux niveaux de difficulté avec les anciens et les nouveaux modèles de métros. Les nouveaux sont parmi les plus difficiles à peindre.
Vu que les métros sont tous peints, est-ce que cela veut dire que c’est plus facile ?
Cela peut rendre la tâche plus facile, la sécu ne peut pas distinguer les nouvelles pièces. Mais ça peut être compliqué aussi. Peindre un whole car relève de l’exploit et c’est une vraie galère pour le prendre en photo.
Comment ça se passe avec le nouveau métro ?
C’est le jeu ultime. Une compétition entre nous et la sécu, avec la mafia aussi. La sécu paie la mafia pour nous traquer parce que la police ne fait rien. La loi concernant le graffiti n’est pas trop dure. La peine maximale est une amende de 2000 euros, ils pensent qu’on est riche et qu’on peut payer sans problème.
Et s’ils t’attrapent, il se passe quoi ?
Impossible de savoir à l’avance. On sait que ça arrive, des gardes qu’on connait nous en ont parlé. On en a eu la confirmation quand on s’est rendu compte qu’on était suivi par des gars étranges. La première fois que ça m’est arrivé, j’ai arrêté de passer autant de temps à trainer dans les trains. On a ensuite pris pas le temps de surveiller les gardes, et commencé à leur parler pour qu’ils soient plus sympas avec nous.
Comment choisis-tu ce que tu repasses ?
Généralement, je m’en fiche. Je pense juste à peindre, je ne regarde pas qui je repasse. Et je me fous de savoir si on me repasse, si la pièce a tourné et que j’ai ma photo. Sauf si ce sont mes ennemis, ou des gens avec lesquels je ne peins pas.
Y-a-t il beaucoup d’embrouilles liées au repassage ?
J’ai eu des embrouilles avec un crew, mais ce ne sont pas vraiment des ennemis parce qu’ils peignent beaucoup moins que moi. Ils peignent une fois par mois, alors que je peins cinq fois par semaine.
Tu fais beaucoup de graffs à thèmes, d’où viennent toutes ces idées ?
Je les trouve quand je me balade dans la rue ou dans la nature. Les saisons, le printemps, l’été, le soleil, l’océan, tout me donne des idées en permanence. Je ne prévois jamais ce que je fais à l’avance. L’inspiration vient quand je vois quelque chose de bizarre dans la rue ou à la télévision par exemple. Mais je préfère faire mes lettrages classiques pour lesquels je suis connu.
Ton style est simple mais perfectionniste, pourquoi ce type de lettrage ?
Quand j’étais jeune et que j’ai commencé à peindre le métro, j’ai essayé beaucoup de styles différents. C’était il y a plus de quatorze ans. J’ai vu beaucoup de styles étranges sur le métro, les styles allemands, polonais, espagnols, français… Ils étaient tous très différents et je ne savais pas trop ce qui était bon ou ce qui était mauvais. Au final, rien ne m’a vraiment convaincu. Je voulais juste que mon nom soit lisible. En tant que personne lambda, on ne peut pas lire ces styles de graffiti. J’ai donc choisi de peindre des lettres classiques dans un style propre. Certains graffeurs plus âgés se sont aussi mis à faire des lettrages lisibles. On peut donc dire que j’ai eu une influence sur la scène de ma ville.
Qu’aimes-tu le plus à Bucarest ? Et le moins ?
À mon avis, c’est le paradis du graffiti. Je ne peins pas dans la rue, mais une pièce peut y durer dix ans. Pour le métro, c’est pareil. Certaines pièces peuvent durer aussi longtemps sur les rames les plus anciennes. Concernant les nouvelles rames, il peut y avoir des centaines de gardes à l’intérieur des hangars, comme une armée. C’est une bonne source de motivation. On a les deux extrêmes : un côté très facile et un autre très difficile. Ce que je n’aime pas, c’est que le réseau est petit et que je ne peux pas gagner de l’argent aussi facilement que dans le reste de l’Europe. Si je pouvais gagner plus d’argent, je peindrais plus. L’une de mes villes préférées est Athènes, son métro est un des plus détruits d’Europe. Ensuite, Madrid pour les amis que j’ai là-bas et pour le modèle de métro. Et enfin, Paris. C’est mon système préféré, on peut y faire ce qu’on veut, le seul inconvénient c’est le vandal squad.
Cinq graffeurs que tu respectes ?
J’en respecte beaucoup plus que cinq. J’apprécie beaucoup de graffeurs, certains pour leur manière de penser, d’autres pour leur style. Mais en vieillissant, je respecte davantage ceux qui réfléchissent d’une certaine manière plutôt que ceux qui se soucient exclusivement de leur style. Tout le monde peut avoir du style, mais il y a très peu de gens avec un peu de jugeote.
Une anecdote ?
J’en ai des centaines. Chaque fois que je peins, il se passe quelque chose de différent. Mais il y en a une que je n’oublierai jamais : le chef de la brigade de police qui s’occupe du métro m’a dit qu’il aimait beaucoup ce que faisait Mser, sans savoir qu’il l’avait en face de lui. A la fin de la conversation, je lui ai dit que c’était moi.
Et qu’a-t-il fait ?
Il a été surpris et a essayé de s’esquiver, il ne pouvait rien faire d’autre à ce moment-là.