Nouvelle épopée spatio-temporelle dans le graffiti, pour ce second épisode du Timedrops. Convecteur temporel de la DeLorean réglé sur l’an 2000, direction la banlieue parisienne à la rencontre de Pesa ADM.
– Mais alors Doc ? Toutes ces histoires sur les risques de modifier le futur, le continuum espace-temps ?
– Ben ! Je me suis dit : On s’en balance !
Originaire de la banlieue sud de Paris, Pesa se met au graffiti dès le début des années 2000. Enfant, il en découvre les différents aspects au contact des grands frères. Il prend autant de plaisir à faire un tag dans la rue, qu’un graff dans un terrain ou un panel en dix minutes. Ce qui compte avant tout, c’est le lettrage.
2000 : Premier graff à la Altona
J’ai retrouvé cette photo pas trop pourrie de mon premier graff, un lettrage Helon. Je devais avoir 13/14 ans, c’est des grands de chez moi, les P4 et les 1K avec leur style parisien des années 90, qui m’ont donné envie de peindre, ou plutôt de taguer. Celui qui m’a vraiment fait kiffer le fegra, c’est Heros. Il habitait dans mon quartier et était bien plus vieux que moi. Je ne le connaissais pas trop, c’était un grand et on ne parlait pas vraiment avec eux. J’allais parfois lui acheter un pack de bières au Franprix, je me débrouillais pour garder la monnaie. Un matin, en arrivant à l’école primaire, je vois un gros Nick la police en tracé direct, ça m’a traumatisé. Plus tard, j’ai rencontré Howie, Deonir, Soka qui venaient de la ville voisine. On ne s’appréciait pas au début. Mais Soka qui venait d’emménager à côté de chez moi voulait nous réunir. Et il a réussi. J’ai appris par la suite que son oncle était Heros, le monde est petit. Quelques années après, on le retrouve sur Toulouse, il nous fera rencontrer Loke (RIP). A part les Altona de Carrefour, j’utilisais des Pigment Spray. Je crois que c’est Osey qui me les ramenait de Paris, c’était un pote de mon grand frère. Il avait assuré, pour moi c’était un truc de ouf d’avoir un carton de six bombes. A l’époque, ce n’était pas évident d’en avoir. Je n’y connaissais pas grand chose et personne ne m’avait vraiment expliqué quoique ce soit.
2001-2003 : Le temps de l’insouciance
Le premier lettrage Pesa que je peins, c’est à Bondoufle sur un mur qui tourne pas mal à l’époque. Avec Howie, au début on n’ose pas le peindre, trop peur de s’afficher, ce n’était pas possible. Mais au fil du temps, c’est un peu devenu notre mur. Avant, je posais Helon, mais j’étais vraiment trop cramé, c’était abusé. Je change pour Pesa. Le nom sonne bien et je kiffe la sape. Je rencontre Howie quand j’ai 12/13 ans. Il traîne avec Soka et Deonir qui sont déjà très techniques sur papier. C’est avec eux que je commence à bien cartonner notre secteur : trains, bus, gares, rues, autoroutes. On traînait tous les jours dans les trains pour taguer. C’était l’époque des ZC sur notre ligne, ils défonçaient les intérieurs avec des putains de styles, la période de la corio, de l’insouciance, celle où on avait moins de problèmes, moins de responsabilités.
2003-2005 : Avec ma clique en banlieue
À partir de 2003, je commence à peindre un peu plus sérieusement, je suis toujours avec les mêmes têtes. Jorgio se met à peindre et vient d’avoir le permis, ça change tout pour un banlieusard. On sort de l’Essonne. Je peins plus souvent parce que je travaille en alternance. J’ai des petites rentrées d’argent qui me permettent d’acheter des bombes, on découvre aussi quelques magasins pour péta, ça aide un peu. J’ai du mal à définir mon style, je ne connais pas trop le jargon des graffeurs. Mais je kiffe toujours les styles parisiens et new-yorkais. Ce qui nous a éduqués, c’est le magazine Radikal, il n’y avait pas vraiment internet à cette époque. Sur Paris, je kiffais bien les GT, les FMK, les OBKOS, mais j’en oublie plein d’autres. Tous les autres lâchent l’affaire, sauf Jorgio et Howie. On traîne tous les jours ensemble jusqu’à pas d’heure. C’est avec eux que j’ai fait la plupart de mes graffs. Ironie du sort, plus tard, on se fera juger pour association de malfaiteurs.
2005-2012 : Ghetto cap sur trains
Depuis que j’ai commencé à peindre, je suis attiré par les trains, c’est la base du truc. Mais je me suis fait péter sur ma première tentative de panel, je devais avoir quinze ans. J’étais avec Howie et ça nous a bien niqués pour commencer notre vie. Vers 2004, après un petit séjour à Toulouse, on a replongé. À partir de 2007, on se met à en faire pas mal, ça devient notre activité principale. Du coup, j’essaye de faire des lettrages plus rapides à effectuer, plus arrondis. Je teste des trucs, mais sans grande conviction. Quand je pense à cette époque, je me souviens surtout des moments passés avec mes potes plutôt que de mes lettrages. Dieu merci, je me suis repris en main. Je suis revenu à un style plus old school. On peignait beaucoup avec des bombes volées, je me suis habitué au cap d’origine qu’on a rebaptisé ghetto cap. Une fois de plus, on ne connaissait pas le vocabulaire technique. Je trouve que son trait correspond à un style à l’ancienne. Aujourd’hui, je n’arrive pas à peindre avec autre chose.
2012-2018 : Lettrage sur mur vierge
Je dessine quand j’ai de l’inspiration et du temps. Je peux passer des semaines sans sketcher et parfois je vais faire deux, trois lettrages intéressants dans la semaine, c’est vraiment aléatoire. On rôde pas mal chacun de notre côté pour trouver des spots vierges. On se partage les plans avec Jorgio et Howie. Peindre des murs vierges met vraiment la pièce en valeur. Ça donne une certaine ambiance, et surtout ça évite de peindre un fond. Je n’ai jamais trop kiffé les terrains dans lesquels tu fais un graff où tu t’es fait chier, pour lequel tu as dépensé de la peinture que tu vas te faire repasser le lendemain, une fois sur deux par un toy. Je récupère beaucoup de peinture en pot, je n’achète rien, ça fait vraiment des économies. Sur un support vierge, c’est devenu indispensable pour obtenir un bon rendu. J’aime beaucoup les lettrages des allemands, des crews GFA, OBS, NFK. Avec Jorgio et Howie, on a chacun pris des directions différentes dans nos styles, mais on reste sur la même longueur d’ondes. Je trouve que nos pièces vont bien ensemble. Quand on peint, on utilise rarement des sketches, on ne prévoit quasiment jamais rien, on fait avec ce qu’on a devant le mur. Les scènes à thèmes avec des fonds communs, c’est pas vraiment notre came.