J’ai commencé le graffiti au début des années 2000. Je dessinais déjà beaucoup, j’ai rapidement tagué Be’r ou Ber. Je ne pensais pas que ça me contaminerait à ce point. J’ai fait mes premiers panels en 2004, ça a modifié ma façon de peindre et fait évoluer ma motivation. Avec Poes, Tombe et quelques autres, on essayait de s’appliquer, de faire des jolis fonds, des persos. On avait quelques noms et crews d’emprunt. On n’hésitait pas à se lancer dans des thèmes et des backgrounds communs. C’est à cette période que j’ai commencé à voyager d’une autre manière. Pendant les quelques années qui ont suivi, mon activité dans le graffiti s’est quasiment limitée à ça.
J’ai levé le pied quand j’ai senti l’étau se resserrer. Depuis, je ne peins plus de trains en France, à l’étranger ça reste occasionnel. Je me concentre sur mon travail artistique sous le nom de Jo Ber. C’est que ça prend du temps toutes ces histoires de panels. Graffitiquement parlant je continue à faire des tags et des throwups par ci par là, des terrains entre potes, des actions collectives et des gros murs notamment avec Poes, mais les histoires racontables sont moins rocambolesques. Du coup, les douze photos qui suivent ne sont pas représentatives de mon travail actuel, ni de mes plus belles peintures. Les anecdotes et les aventures les plus croustillantes sont essentiellement extraites de cette période de formation artistique, quand tout ne se passait pas comme prévu.
#1 Backjump aquarium
En revenant d’un long et difficile voyage en Hollande, on ne pouvait pas faire la route d’une traite pour rentrer à Paris. Du coup, on fait une pause pour reprendre des forces chez des potes à Bruxelles. En buvant un verre, on apprend qu’il y a une possibilité pour peindre le métro en circu, entre la rame et les vitres de la station extérieure donnant sur la rue, en hauteur, surplombant un carrefour.
Pas facile, pas beaucoup de temps, pas possible de faire des photos sur place. Mais bon, on se regarde, malgré nos cernes, on se met un ultime coup de motivation. C’est parti. Arrivée en station, notre petite équipe descend sur les voies à l’insu du conducteur. On se faufile tant bien que mal entre le métro et les vitres. Tous en file indienne, pas de recul, une vraie galère. Une fois que tout le monde est à sa place pour peindre, on attaque le nez collé à nos graffs. Ça prend pas longtemps, on est tous synchro.
A peine le temps de finir qu’on remarque que l’éclairage de la rue qui se trouve dans notre dos change de couleur et vire au bleu. La police nous a cramés. C’est leur gyro qu’on voit. J’imagine que de la rue, on devait avoir l’air con dans notre aquarium à faire nos panels. Bref, marche arrière toute. Même opération que l’entrée, file indienne collée au métro, impossible de courir. La pression monte, on arrive à s’extraire, à sortir de la station en changeant nos vestes. Et là, bruit de voiture, dispersion des troupes, je saute dans un fourré, j’attends deux secondes que ça passe et je rejoins les autres qui sont déjà dans la caisse. On démarre et on quitte le quartier.
Ouf, personne ne s’est fait péter. On est tous content d’être sain et sauf, à part un qui râle parce qu’il a foutu de la peinture sur sa doudoune en se frottant sur les panels. Tout est bien qui finit bien, mais la mission n’est pas finie. Maintenant, il nous faut la photo. On se poste dans une station, on attend. Un métro passe, ce n’est pas celui là, on attend encore pendant plusieurs heures jusqu’au moment où un métro sans arrêt est annoncé, c’est le notre. Pris de court, on le voit passer. Je shoote une photo, ça sera la seule, il est parti au buff direct. Tout ce qui restera de cette session sera la pièce FAT de Bess.
#2 Braquo sur Casimirs
Cet endroit n’existe plus. Ni même le modèle, c’est juste un spot où on aimait bien aller, pas loin de chez nous. On avait nos petites entrées, nos horaires, nos habitudes. Et cerise sur le gâteau, ils y garaient des Casimirs. Magnifique. Une fois, en y allant, on est tombé sur trois voitures banalisées et des mecs en blousons noirs, avec des brassards police, qui braquaient une autre voiture. Houla, mauvaise journée, on fait demi-tour. On se pose en face des voies de garage pour observer ce qui se passe. On s’aperçoit que c’est un tournage, les flics sont des acteurs. Ils filment une scène pour la série Braquo je crois. On y est retourné le lendemain.
#3 Dans la fosse aux lions
Dans mes souvenirs, je n’ai jamais peint tranquillement en Espagne. Cette mission, c’était l’apothéose. On avait repéré ce plan à Barcelone. Après quelques kilomètres de marche on arrive sur le spot. On descend dans la fosse. On voit bien sur les photos la configuration du spot. On peint sur le train de gauche, entre le wagon et le mur. Je fais un perso. A peine le temps de prendre une petite photo d’ambiance, je me retourne pour faire une photo de ma peinture, et soudain deux ou trois gars de la sécu débarquent de la tête des trains. On prend la fuite vers le pont. On aperçoit des espèces de lianes qui tombent d’un arbre qui donne sur la rue. On s’y agrippe, on essaye de s’accrocher et de grimper comme des singes. Je sais pas comment je fais mais je me retrouve là haut en deux secondes.
Je me retourne et là je vois la liane de mon comparse qui craque, il tombe direct dans les bras de la sécu. Je reste médusé quelques secondes. Hésitant à sauter dans la fosse aux lions pour aider mon pote. Je ne le fais pas. On aurait juste été deux au dépôt, direction comparution immédiate.
Sans rancune la mif. On a aucune photo de cette peinture.
#4 Panel à l’italienne
L’Italie c’est bien, il fait beau, il y a de la bonne bouffe, et il y a surtout plein de petites lignes privées dans tous les sens avec des modèles d’autorails tous plus mignon les uns que les autres. Pour celui là, c’était vraiment un régal. Dans cette ville, il y avait une fête pour je ne sais plus quelle raison historique ou religieuse. Tout le monde était dans le centre, le reste de la ville était désert. On est allé peindre tranquille, à l’italienne. On a garé nos vélos devant les trains. On a fait deux panels chacun sur deux supers chouettes modèles et on est reparti à la cool, en vélo. On est rentré à l’auberge en passant boire un coup sur la place principale de la ville, comme des vrais touristes.
#5 Action Bomberman
L’entrée de ce spot est vraiment bien. On passait par un jardin qui donne directement au bout de la voix de garage, au cul des trains. Il suffisait d’escalader une petite pente pour accéder au spot. On y va. Tout se passe bien, c’est toujours cool de peindre de jour, on voit mieux ce qu’on fait et ce qui arrive. Cette fois-ci justement, on voit au loin que le maître-chien nous a repérés, il se ramène. Tranquille, on a un peu d’avance, on ramasse nos affaires, on bondit dans le jardin. Dans la précipitation, y’en a un qui saute dans la cour d’à côté, et qui se retrouve bloqué, il tourne en rond, toutes les portes autour de lui sont fermées en mode Bomberman de début de partie. On rigole deux secondes et on éclate la barrière en bois entre les deux jardins pour qu’il puisse nous rejoindre. Désolé pour les proprios de cette barrière, cas de force majeure. On finit par réussir à s’enfuir. On n’a pas exactement fini nos pièces mais j’ai quand même cette photo pour me souvenir de cette histoire.
#6 Peindre à l’aveuglette
Une nuit en balade avec Poes, on se rend dans une petite gare de campagne où stationne habituellement un train. On arrive là-bas, nuit noire, on y voit vraiment que dalle. On remonte les voies en essayant de pas se casser la gueule, on arrive devant la station, on distingue deux ou trois frets et direct la silhouette de la gare. On ne voit pas de train. Un peu dégouté, on se fait une raison, on se dit qu’ils n’ont pas dû le mettre ce soir. On voit au loin les phares d’un train de nuit qui arrive à vive allure. On se planque pour le laisser passer. Et quand il arrive à notre hauteur, il éclaire le fameux train qu’on cherche. Il était devant nos yeux et on ne le voyait pas dans le noir.
C’était comme une apparition. On serait reparti si ce train n’était pas passé. On a fait notre peinture à l’aveuglette. Pour prendre notre cliché souvenir, ça n’allait pas être simple. Poes a pris une photo en pause longue pendant que je faisais des allers et retours devant notre peinture avec la lumière de mon portable. Finalement, la photo n’est pas si mal. C’est mieux que rien et on se rend bien compte de l’obscurité dans laquelle on se trouvait.
#7 Blizzard hollandais
Sûrement un des voyages les plus froids de ma vie. Sur la photo, on ne dirait pas, mais en Hollande, la journée il peut faire beau, on croit que c’est la fête, et quand la nuit tombe un blizzard souffle, à découper toutes les extrémités qui dépassent. On était en équipe, motivés, en voiture, avec quelques jours devant nous pour se balader dans le pays. J’avais pas prévu un froid aussi intense, j’ai failli perdre des doigts sur chacun des plans.
#8 Whole car en station
Lisbonne, station Cais do Sodré, on y a fait deux ou trois fois des panels. Cette fois, on veut se lancer dans un whole car à deux. Les bombes Ultra Wide sont sorties depuis pas longtemps. On a craqué notre P.E.L. et vendu un rein chacun pour tester. Après la fin de la circu, on rentre dans la station par les voies pour accéder aux trains. On savait qu’il y avait de la sécu en bout de quai, dont un qui jouait avec un bâton qui lui servait à punir les graffeur qu’il attrapait. Bref, il ne fallait pas trainer. On se lance, ça va vite, ça nous prend moins de dix minutes. On s’en fout plein partout, on est trop près du support, on s’attendait pas à tant de pression.
C’est pas super clean, mais bon ça rentre. On s’échappe de la gare en speed. On observe notre train depuis l’extérieur. Là, on voit les portes qui s’ouvrent violemment et la sécu qui sort, prête à en découdre. Raté. Ils ont dû être bien dég d’avoir loupé leur coup.
#9 Une nuit de guet-apens
Cette fois-ci, c’était vraiment chaud. On est trois, dont un ami allemand. On va sur un spot qu’on connait. On est rencardé de près, limite en temps réel. Mais sur ce coup, on a voulu être plus malin que les autres. Avec une demi-heure de retard sur le créneau, on se lance quand même. On fait notre peinture, tranquille, pas de souci. Et au moment d’immortaliser tout ça, on voit sortir de la brume une équipe de la ferro qui court droit sur nous, en mode charge de rugbyman. On décampe.
On a quelques mètres d’avance. Mais beaucoup de voies de circulation à traverser. A un moment dans la course, je pars un peu plus à droite que les autres. Bim ! je tombe dans un trou plein de végétation. Je me dis que j’ai sûrement perdu mon avance, et que si je ressors pour courir, je suis sûr de me faire péter. Du coup je reste là, je m’enfonce au maximum dans la terre, je tente de me fondre dans les plantes qui m’entourent, je cache mes chaussettes blanches, quand soudain, j’entends des pas et des voix au-dessus de moi. Je bouge plus. J’essaye de me convaincre moi même que je suis une pierre. La lumière d’une Magligte balaye autour de moi. Passe sur mes pieds. Sueurs. A ce moment, je me dis que c’est mort, je vais me faire péter. Mais pas moyen que je bouge avant qu’ils m’attrapent. J’attends, rien ne se passe.
Finalement, les flics se remettent a discuter. Ils ne m’ont pas vu. Ils partent chercher ailleurs. Wouhaa ! La technique de la pierre a marché. Je suis bien content qu’ils ne m’aient pas grillé. Mais surtout bien conscient d’être encore au milieu des voies. Je reste terré au moins deux bonnes heures. Au bout d’un moment, je n’entends plus aucun bruit. Je sors la tête. La voie est libre jusqu’au prochain bosquet situé à côté d’une machine de chantier. C’est le dernier virage avant la sortie. Je me faufile jusqu’aux arbres façon ninja. L’accès à l’extérieur est proche. J’entends à nouveau des pas et des voix qui arrivent de derrière le bosquet. Je me cache rapidos sous la machine de chantier. Les gars arrivent vraiment dans ma direction. Je rentre dans la jante de la roue de la machine. Et une fois encore je me fige. Les types se posent autour de moi, fument une clope, discutent, font des blagues, je suis au top de l’adrénaline. Je sais pas ce qu’il en est de mes potes, mais si les flics ne lâchent pas l’affaire, c’est qu’il ne doivent rien avoir à se mettre sous la dent. A un moment j’entends les flics crier « on va vous trouver, ça sert à rien de vous cacher ». Ils cherchent encore. Je m’endors un peu.
J’entends les premiers trains. Plus de bruit autour de moi. Je sors de ma machine. Furtif, je me faufile vers la sortie. Enfin libre. Je trace à la voiture. Je quitte le coin. J’essaye d’appeler les autres pour savoir ce qu’il s’est passé de leur côté. J’arrive à les avoir, personne ne s’est fait péter. Ils ont vu la scène d’un autre angle. Ils me racontent que le dépôt était plein de flics en tout genre qui cherchaient dans tous les sens. Du gendarme à la ferro, en passant par le maître-chien et les nationaux. Ils pensaient que je m’étais fait péter, du coup ils ont pris le premier train. On a finalement réussi à avoir des photos de ces panels. Celle-ci n’est pas de moi, son auteur se reconnaitra sûrement.
#10 Vue imprenable
Sur ce plan, la voie ferrée passe entre des immeubles et des pavillons, on peut voir chez les gens. En passant, je suis tombé sur une grande baie vitrée allumée. Un mec, de dos, regarde un gros film de cul sur son écran ultra HD géant de la taille de son mur. On se tape une barre, ça nous détend pour la suite de la mission. Il paraît qu’il y a d’autres histoires similaires plus ou moins au même endroit. Le mec est zen, il ne se doute de rien.
#11 Métro à l’échelle
Fin d’Interrail en Italie avec mon compagnon de route qui a les pieds en sang, à cause de cloques que je qualifierai de cratères purulents. Depuis nos trois dernières escales, il souffre, râle, mais ne jette pas l’éponge. On arrive à Milan, dernière étape avant le retour dans la vie réelle. On se doit de finir en beauté, on voulait pas se taper un Trenitalia. Du coup, on se rencarde un peu sur la ligne rouge du métro. On repère le dépôt sur Google Maps. On a entendu parler d’un grand mur, d’une échelle cachée dans un terrain vague et de plein d’autres choses assez floues. Une fois sur place, on trouve le mur, sacrément haut. On rôde autour, dans le fameux terrain en friche, mais impossible de trouver l’échelle. On lâche pas l’affaire, on se rend compte qu’à l’autre bout du dépôt le mur devient moins haut, on arrive à l’escalader. On jette un œil. Sacrée ambiance.
Des travailleurs dans tous les sens, plus quelques mecs de la sécu qui tournent autour de leur voiture. On voit au loin l’atelier où sont garés les métros, impossible de les atteindre par là sans se faire griller. On est prêts à abandonner, mais c’est sans compter sur l’œil de lynx de mon pote qui repère une échelle immense sur les voies. On sort l’échelle de là. On la ramène devant l’atelier qu’on voulait peindre. On la pose sur le mur. On grimpe. Le mur est vraiment haut. On a une vue imprenable sur tout le dépôt quand on est au sommet.
On prend l’échelle, on la passe de l’autre côté pour redescendre juste derrière l’atelier. On pénètre les lieux, on cheke rapidement et on peint. On se met sur deux wagons différents pour avoir un meilleur angle de vigilance. Pendant que je peins la pression monte et ne diminue pas, je ne fais que penser à la sortie qui risque d’être sportive. On finit sans accroc. On fait une ou deux tofs dans le stress. On sort de l’atelier, on retourne discrètement à l’échelle, on la repose sur le mur, on remonte, on apprécie une dernière fois le panorama.
Ça s’agite en bas, faut y aller. Avec les dernières forces qu’il nous reste on récupère l’échelle pour la faire passer de l’autre côté du mur une dernière fois. On redescend, on planque l’échelle dans la précipitation, avant de filer sans se retourner. On se checke, on est content, on a l’impression de l’avoir bien mérité celui là.
#12 Plan foireux en Belgique
Il y a quelques années quand on peignait ensemble, on essayait de travailler ça au maximum, sketch, punchline, crew, fond, décors, perso. Mon pote traçait les lettres, moi le reste. Les aléas ont fait qu’on ne peignait plus en France depuis quelques temps. Mon compère s’était mis au tatouage. Il dessinait beaucoup, notamment des persos. Du coup, pour cette session en Belgique, on décide d’échanger les rôles pour ce qui doit être notre première peinture du weekend. Arrivés en Flandre dans la nuit, on se dirige en voiture vers le premier spot, route de campagne, on est seul. Un véhicule arrive derrière nous… Police. Ça manque pas, avec notre plaque française, on se fait contrôler, on nous demande d’ouvrir le coffre. Plein de bombes.
Eux : « Mais qu’est ce que vous allez faire avec tout ça ? Ici, on n’a pas le droit de peindre sur les trains. »
Nous : « Mais non, on est invité à une jam pour peindre. On cherche la route de Bruxelles. »
Eux : « La route de Bruxelles ? Oula, c’est pas par là, on va vous escorter vers l’autoroute. »
Je passe les détails de la conversation et l’accent belge inimitable, mais les flics n’ont certainement pas crû à notre pauvre histoire. Ils ont juste voulu qu’on se casse en nous escortant sur le chemin. C’était la première d’une longue série d’échecs. Les weekends en Belgique, des fois c’est détente, on rigole bien et des fois un peu moins. Là c’était un peu moins.
On s’est cassé les dents sur tout ce qu’on a tenté, sauf ce panel où j’ai tracé le lettrage. En journée, sur un charmant modèle en voie d’extinction, c’était un moment top, même si c’était l’unique du weekend.
Plus de photos de Ber ici.