Police aux aguets et tolérance zéro pour le graffiti : à l’autre bout du monde, les graffeurs australiens font face à une politique pour le moins agressive vis-à-vis du graffiti, surtout sur les trains. Pas étonnant du coup que chaque été ils envahissent les dépôts d’Europe et d’ailleurs, c’est un secret de polichinelle.
Les Vendettas -VNDS pour les intimes- ne font pas exception à la règle. Originaire de Melbourne, le crew voyage beaucoup, mais pas seulement : ils ne lâchent pas l’affaire à domicile.
Backjumps, whole cars à quai, coursades… Après cette dose d’actions made in Brisbane en intraveineuse, quelques questions à Chevy, Skadderz, Pivot et Venis.
Quelle est l’histoire du crew ?
Chevy : Tout a commencé en 2012 à Melbourne. Skatman et Rides ont réuni là une belle équipe de vauriens, mais qui touchait à toutes les facettes du graffiti. Panels, bombing, murs, tous les bons trucs. C’était une période incroyable.
Skadderz : On vient tous d’horizons très divers, ça va du bon père de famille plutôt conservateur qui fait tourner son affaire, jusqu’au bobo hippie qui ne mange pas de viande et vote écolo. Au final, on partage tous un truc en commun, et c’est ce qui fait de nous un crew.
Qui sont les membres du crew ?
Chevy : On a un solide réseau international couvrant un certain nombre de pays. Sans ordre particulier : Rides, Skatter, Ciser, Pivot, Soy2, Shore, Cybrusss, Pures, Newr, Siderous, Getbies, Kenyo et Venis.
Êtes-vous uniquement intéressés par les trains ou vous peignez aussi des murs ?
Chevy : Les trains sont notre grosse priorité, mais le groupe est diversifié et capable de peindre n’importe quel mur.
Cybrus : J’aime tout peindre, à partir du moment ou ça m’apporte de nouvelles expériences.
Pivot : Des trains, des murs et le reste, tout est bon à peindre du moment qu’on arrive à en faire quelque chose de bien.
Venis : Les trains, c’est le plus marrant. Les murs, ça devient vite ennuyeux. Mais c’est toujours cool d’arriver à vendre des toiles à des gens riches prêts à dépenser des milliers de dollars. Et il faut bien le dire, les groupies du monde de l’art sont mieux que celles du monde du graffiti…
Sider : J’adore peindre des murs, surtout quand il y a de l’exploration et de l’aventure. Que ce soit en se baladant pour trouver un mur en béton vierge ou en explorant des entrepôts abandonnés. Plus l’environnement et les spots sont inhabituels, mieux c’est.
Voyagez-vous pour peindre d’autres systèmes en Australie et à l’étranger ?
Chevy : En permanence, le voyage est une obligation dans le graffiti désormais. Il y a une surenchère et un besoin constant de peindre les systèmes les plus rares et toujours plus risqués. Pour certains, contrôler un système ne suffit plus, il faut compléter la liste des différents modèles, qui ne cesse d’augmenter. C’est une épée à double tranchant.
Cybrus : Je voyage pour différentes raisons, mais d’une manière ou d’une autre, où que j’aille je dois laisser une trace.
Venis : Nous venons tous d’horizons très différents, voyager permet de renforcer nos liens.
Des problèmes avec la police ?
Chevy : Beaucoup d’entre nous en ont eu. A Vancouver, on a l’avantage d’avoir un système automatique, sans chauffeur. Ça limite les chances de rencontrer d’autres humains, comparé à d’autres spots. Ceci étant dit, il y a beaucoup d’imprévus, on peut toujours tomber sur une patrouille. On touche du bois, mais notre organisation en mode militaire est restée jusqu’à présent impénétrable !
Pivot : Une nuit, quand j’avais 17 ans, je suis allé peindre un mur dans une station avec un pote. Surpris par du bruit, je pensais que j’étais grillé, je me suis donc barré. Mon pote est revenu finir sa pièce, j’ai voulu faire pareil. Une fois sur place, j’entends du bruit de l’autre côté du mur, genre une fille qui pleure, et un ou deux gars avec elles, plutôt saoulés d’elle. Ils semblaient tous bourrés et sont finalement partis. Il me fallait cinq minutes pour finir ma pièce…. De nouveau j’entends une voix, cette fois, c’était un flic avec son téléphone portable. Il me tournait le dos, j’ai eu à peine le temps de jeter mon sac dans les fourrés avant qu’il ne m’aperçoive, de changer de t-shirt puis taper un sprint jusqu’à ma voiture. Là, des flics m’attendent. Je suis à bout de souffle. Ils me demandent ce que je fais dans le coin. Je ne sais pas trop quoi leur raconter. Je leur dis que j’étais à une fête où je me suis fait embrouiller. Ils n’ont pas l’air très convaincus. Ils vérifient donc ma petite histoire en appelant le QG pour savoir s’il y avait une fête dans le secteur. Coup de bol, il y en avait effectivement une avec plus de trois cents personnes. Je peux souffler, ils me laissent repartir ! Heureusement pour moi qu’ils n’ont pas vérifié mon identité…
Une action de groupe mémorable ?
Chevy : Il y a quelques temps, on avait une entrée spéciale dans un dépôt de SkyTrains canadiens. Il fallait agir vite. Une nuit, la chance a tourné. Au moment de quitter le spot, ça s’est transformé en Alcatraz. Des sirènes, des alarmes et des lumières clignotaient dans tous les sens. On a tout de même réussi à s’en sortir.
L’un de mes meilleurs souvenirs, c’était avec Pivot. En voulant passer à travers un grillage, on s’est retrouvé tous les deux coincés. On gigotait sur le dos comme des poissons hors de l’eau. C’était ridicule.
Au Canada, j’ai voulu profiter des premières tombées de neige pour faire une action solo. En checkant le dépôt, je me rends compte que ce n’est pas faisable. Avant de partir, je m’assois pour regarder les trains. Du coin de l’œil, je repère deux silhouettes inquiétantes dans les buissons. Pris de panique, je me mets à courir. Je ralentis le pas une vingtaine de mètres plus loin. En me retournant, je vois deux coyotes qui me coursent. Normalement, le coyote ne s’attaque pas à l’homme, mais ils avaient l’air complètement barges. En reprenant mon sprint, je vois que d’autres coyotes s’y mettent aussi. J’en pouvais plus, mes jambes étaient prêtes à lâcher. Heureusement, j’avais laissé la porte de ma voiture ouverte et j’ai pu m’effondrer sur le siège passager. Saloperie de Canada.
Skadderz : La nuit de la création du crew, on est allé peindre une pièce sur les voies à la station Flinders Street au milieu de la nuit. Je crois que c’est en sortant d’une fête en allant de Revolver Upstairs à Chaple Street. Pour ceux qui ne savent pas ce qu’est Revolver Upstairs, c’est l’une des cinq attractions touristiques de Melbourne, juste après Luna Park. Bref, toute personne normale trainant avec des graffeurs sait qu’au moins l’un d’entre eux se trimbale avec de la peinture sur lui, qu’importent les circonstances. Forcément, on va peindre et cette fois là, c’est moi qui ai de la peinture. La seule chose dont je me souviens c’est que mes potes bourrés me disaient que ma pièce était nulle et que je devais ajouter des flammes dans mon fond. Je ne peins généralement pas quand je suis bourré, mais cette nuit là, j’étais complètement raide. Finalement, j’aurais peut-être dû ajouter des flammes. C’est comme ça que tout a commencé.
Venis : L’action dont je me souviens le plus s’est déroulée avec Rides. On n’a même pas eu le temps de peindre. Il venait me rendre visite, ça faisait longtemps que je n’avais pas peint, j’étais occupé à vendre des toiles et baiser des groupies. C’était un dimanche matin, on a à peine le temps de franchir un grillage qu’une voiture de police surgit. Heureusement, il y a deux autres grillages qui nous séparent. On se réfugie dans une ruelle avant de déboucher sur une route très fréquentée.
En s’engageant dans un long tunnel, on se rend compte qu’une autre voiture de police bloque la sortie. On est baisé. Si Rides est pris avec moi, ça ne ferait qu’empirer les choses. Il n’y a aucun moyen pour lui de jouer au touriste. On est exactement au milieu du tunnel quand la voiture commence à s’approcher. En une fraction de seconde, on se met d’accord pour se séparer. En rebroussant chemin de mon côté, je tombe sur des flics militaires armés de mitraillettes. Je me dis que je vais passer trois jours en détention pour intrusion sur une propriété privée. Ce n’est pas la fin du monde.
Un flic se dirige vers moi en courant, il me frôle… et continue de courir. C’est un vieux gars, il a l’âge de mon père. Je commence à parler avec lui. On finit par marcher ensemble jusqu’au bout du tunnel. S’il y a beaucoup d’agitation, c’est parce qu’il y a un énorme cirque dans le quartier. J’étais presque sûr que mon pote s’était fait serrer. Trente minutes plus tard, je reçois un coup de téléphone de Rides. Les flics à l’autre bout du tunnel l’ont laissé passer, ils cherchaient deux hommes. Les flics qui nous ont grillés ont donné la description de deux gars en gilet orange. Dans la ruelle, on en a heureusement profité pour s’en débarrasser.
Je me souviens de cette action, non pas à cause de la peinture, mais parce que c’est un bel exemple de ce que doit être un crew, et plus généralement l’amitié. C’est aussi une leçon de karma, en une fraction de seconde, Rides a pris le risque de se faire serrer seul. Il y a très peu de gens qui peuvent faire l’expérience d’une telle confiance et d’une telle loyauté, car la plupart d’entre eux ne font jamais face à ce genre de situations.