Je commence le graffiti au début des années 90. Mon premier blaze, c’est Bronz, je l’ai gardé une petite année. J’ai fait mes armes dans le Val-de-Marne avec Frez qui taguait Spoke à l’époque et Esky qui m’a filé le blaze Faki. On faisait beaucoup de tags sur la ligne 7 et de nombreuses sessions avec Fore (R.I.P.) à déchirer les intérieurs et les stations. En déménageant dans les Yvelines, je rencontre Crier qui me présente les GAP. L’univers dans lequel ils évoluaient était différent de ce que je connaissais. Je suis donc entré dans cette grande famille pour me consacrer aux trains et aux RER. C’est le seul crew que je pose systématiquement depuis le début.
J’ai peint pendant quelques années avant de me mettre au rap. Petite délinquance, décrochage scolaire… je voulais faire de l’argent et ne pas en lâcher en payant des amendes. J’ai donc arrêté les études et le graffiti en même temps.
A partir de 2011, je reprends du service sur murs et sur camions. J’ai eu un déclic en faisant le bilan de ma vie. En devenant père de famille, je me suis rendu compte que la chose la moins pire que j’ai pu faire c’était du graffiti. En plus, le livre Descente Interdite venait de sortir et je n’étais pas dedans. J’étais tombé dans les oubliettes. Fort d’un égo surdimensionné, comme tout bon graffeur, je m’y suis remis. Aujourd’hui, je ne peins que pour moi sans calculer le milieu.
#1 Embrouille avec les UV
Ce-jour là, je suis en vadrouille avec les SEP à Massy-Palaiseau. On ne connait pas le plan. Après quelques instants d’hésitation, on se décide à traverser les nombreuses voies pour atteindre le Graal. Je ne savais pas que ce petit gris avait autant tourné. Grâce à Mine SEP, j’ai pu avoir ma photo.
Ça me rappelle une anecdote avec les SEP au magasin de bombes Génération 400 ML. On y croise les UV qui veulent en découdre avec Crier. En s’interposant, Dune se prend une bonne patate par Fuzi. Résultat : une lèvre ouverte mais aucun d’entre nous ne s’est fait dépouiller.
Rageux, on part peindre L’Eurostar du côté de la Gare du Nord. Le modèle venait de sortir, je pense qu’il n’avait été peint que deux fois. Il neige, on est en train de le contempler quand Crier, agile comme un chat, franchit l’immense grillage qui nous sépare de la bête. Il commence son panel, je me lance à mon tour et tout le monde suit. A peine le temps de s’y mettre que le maitre-chien déboule accompagné par quelques cheminots. Crier a le temps de finir sa pièce et de prendre ses photos. La petite équipe repasse de l’autre côté du grillage, le maitre-chien et ses compères ne sont plus qu’à quinze mètres, je m’échappe sans prendre de photo. Je me retourne une dernière fois pour contempler ma croute. Pas de serrage mais une sacrée dose d’adrénaline et des souvenirs pleins la tête.
#2 Remettre les pendules à l’heure
Avec les GAP, on a littéralement pris en otage ce dépôt. Beaucoup de gens le tapaient, mais quand ils y allaient on en revenait. Normal, le noyau dur du crew était sur place. Les GAP étaient présents sur la ligne C et sur celle de Montparnasse, mais aussi du Nord au Sud-Est avec Kesie. Difficile de ne pas nous voir à cette période, on était partout. Très peu de photos ont circulé, un livre sur le crew permettrait de remettre les pendules à l’heure.
#3 Nuit fraternelle
En 1996, Sike rentre du Canada après avoir passé neuf mois en prison pour avoir peint le métro de Montréal. L’été, il nous offre l’hospitalité ainsi que pas mal de plans, dont celui-ci dans les environs de Montauban, si mes souvenirs sont exacts. Alors qu’il nous attend dans la voiture, l’envie est trop forte. Il nous rejoint pour peindre un lettrage Salop entre Zepha et moi. C’est à la suite de cette nuit fraternelle que Sike rentre dans la famille GAP. A cette période, j’expérimente la compression de mon lettrage, en fusionnant le A dans le F et le K dans le A.
#4 L’affaire de Versailles
Il me reste très peu de photos, j’ai récupéré celle-ci dans ma fouille à ma sortie de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy. Ce spot à domicile se tapait le dimanche, il fallait être rapide parce qu’on était vu de la rue.
Je suis malheureusement au départ de l’affaire du procès de Versailles. Une commission rogatoire a été enclenchée suite à un trafic de stupéfiants et de menaces de mort à l’encontre de Polak, la balance du quartier. Une simple perquisition pour trafic de stup qui a débouché sur le démantèlement du noyau dur des graffeurs de trains en 2002. Deux ans d’enquête ont été nécessaires pour traduire en justice de nombreux graffeurs pour dégradations volontaires en réunion.
Je ne pensais pas être inquiété, mais en voyant mes potes se faire perquisitionner semaine après semaine, je décide une nuit de récupérer mon book et d’autres trucs, le temps de confier tout ça à quelqu’un de confiance. C’était la nuit de trop. A 6h du matin les flics déboulent. Armes au poing, cagoulés, ordonnant à mon frère et moi de nous coucher sur le sol.
Le commandant Merle, qui venait de prendre ses fonctions à Gare du Nord, avait compris qu’on prenait nos graffs en photo. En faisant pareil, des devis sont établis et la SNCF peut chiffrer le montant des dégradations. La cellule anti-graffiti est en train d’être montée. Par la suite, cette brigade a tout mélangé, bande organisée, grand banditisme et graffiti.
Pendant une visite au parloir, Merle me dit qu’il pense que l’argent des stups est blanchi par la vente des fanzines graffiti. J’apprend par la suite que certains magasins de bombes ont été perquisitionnés.
Je ne lui ai dit qu’une seule phrase quand il est venu :
« Nike ta mère fils de pute, je suis en prison qu’est ce que tu veux de plus ? »
Il m’a répondu qu’il allait serrer tout ce beau monde. Je ne l’ai jamais revu.
Concernant mon book, je ne sais pas s’il a été détruit ou classé dans les archives nationales…
#5 Révolution 1995
En 1995, les grèves contre le plan Juppé sont les plus importantes depuis Mai 68. On avait ce plan sur Montparnasse. Apparemment, personne ne le connaissait car on l’a exploité dans tous les sens pendant plusieurs années. Dans ce secteur des Yvelines, il y avait peu de graffeurs, on en a bien profité. Avec Ideal, on a fait plusieurs whole cars pendant les grèves, dont un double whole car Révolution 1995.
#6 Serrage sur la C
Avec Crier, on aimait bien ce spot, nos pièces tournaient systématiquement des Yvelines jusqu’à Juvisy en traversant Paris. On avait une vue imprenable sur nos graffs qui passaient sur le pont dans le parc Parc André-Citroën, près de la station Javel.
On n’a jamais eu aucun souci là-bas, jusqu’à cette journée d’hiver 1996. Il neige, et on tape les têtes de trains, sac à la main, prêts a déguerpir, quand surgissent juste derrière nous, deux bleus. J’ai une réaction de défense quand l’un des deux essaie de m’attraper. En me débattant, je lui balance mon sac rempli de bombes. Le cul d’une des bombes lui éclate l’arcade. Il me lâche immédiatement pour contenir le sang qui gicle. Ni une, ni deux, je m’arrache en sautant dans le champ juste derrière moi. Je cours sans me retourner et je me réfugie dans un camp de Manouches. Je tape à la porte d’une caravane, le chef de famille ouvre, je lui explique la situation et il me laisse entrer.
Par la fenêtre, je vois mon pote menotté devant nos pièces se prendre une tarte par un des cow-boys.
Je reste caché dans la caravane avec pleins de gamins. Avant de partir, le patriarche m’échange mon manteau, si pratique pour péta des bombes, contre le sien.
Après une heure d’attente, je me dirige à pied vers la gare. Sur le chemin, je croise une voiture de police. Je regarde discrètement, elle s’arrête. Mon pote est derrière, le regard vide et fait non de la tête. Les flics ne me reconnaissent pas et mon pote ne me balance pas.
Quelques années plus tard, Crier passe en procès pour cette affaire et s’en sort avec une amende.
#7 Rencontre avec O’Clock
Avec Crier, on avait l’habitude de défoncer les intérieurs en se rendant en train au terrain d’Issy-Plaine. Après avoir ravagé plusieurs wagons, un mec nous interpelle en descendant du train :
« C’est vous Faki et Crier ? »
Je lui réponds :
« Pourquoi, t’es de la police ? Tu poses ? »
Lui : « O’Clock ! »
Les portes se referment. A l’époque, je ne le connaissais pas, mais quelques temps plus tard, on le voyait absolument partout dans Paris.
#8 Double identité
Un dimanche matin, je suis avec Esky dans le dépôt des Ardoines qui ressemble pas mal à celui de Trappes par sa taille et ses ateliers de maintenance des rames de la ligne C. On pouvait y trouver plein de modèles différents mais celui-ci a toujours été mon préféré.
A la base, c’est Esky qui m’a donné mon blase. Simple, en deux syllabes avec une sonorité bien piquante, tout à fait à la mode. On faisait du skate à l’époque, rouler en fakie consiste à rouler en arrière pour effectuer des figures dans le sens inverse de sa position de base. Ce blase me colle tellement à la peau qu’il est devenu une seconde identité.
#9 Dans les tunnels de Paris
En 1995, une vague d’attentats frappe la France. je fais cette station avec Eric, un pote d’enfance qui n’est pas vraiment un graffeur mais qui me suit dans pas mal de missions. Il pose Krom. Je fais souvent nos deux noms pendant nos sessions. Il s’occupe du remplissage, je fais les contours.
A cette période, le métro Sprague stationne dans la bifurque. On y va très souvent. Je n’ai pas fait beaucoup de métros, environ une trentaine entre 1992 et 1995. Frez m’y a initié sur la ligne 6, on y a fait beaucoup de tags au baranne rempli de teinture française.
Ça me rappelle une histoire dans un spot à quai. On y accède par un tunnel. En repérage avec Rack 3M, on cache nos marqueurs dans une niche avant de rejoindre les deux métros. Et là, surprise ! L’une des deux rames est complétement recouverte de tags de Weane et Xane 3DT. On les a loupés de peu. On se pose tranquillement dans un wagon quand le maître-chien débarque. Pris au piège, on finit au poste. A l’époque, je suis encore mineur, je raconte aux flics une histoire de course-poursuite dans le tunnel après une embrouille au Parc des Princes. Ils nous ont relâchés quelques heures après.
#10 Blase mytho
J’ai toujours aimé les TER. Dans la région Aquitaine, les modèles sont magnifiques. J’ai peint ce lettrage Shov sur un wagon première classe avec Kesie durant l’été 1996. Je venais de me raser le crâne le matin même. Un blase mytho qui coule de source. Cet été, on a parcouru le Sud de la France sans argent. Je volais tout : bouffe, fringues. Je me souviens m’être intégralement sapé de la tête aux pieds en Lacoste dans les Galeries Lafayette. Le plan était tellement simple que j’en ai même échangé contre du bédo.
Je garde quelques exclus de TER sous le coude, de modèles disparus, introuvables… même en casse.
Les GAP étaient présents partout en France, et même en Europe. On a fusionné par la suite avec les DRS de Rotterdam. Le crew reste actif depuis maintenant plus de trente ans.
#11 Séquence nostalgie
Cette archive vient de la collection de Dixe MPV. Il me l’a envoyée grâce aux réseaux sociaux. On fait partie de la dernière génération à avoir connu le Graffiti sans internet. Je n’ai pas vraiment de souvenir de cette session avec Ideal. Je me souviens juste que la photo a été prise à Noisy-le-Sec en 1995. J’ai peint avec des Marabu, des bombes volées au Graphigro de Montparnasse.
Comme tout bon vandale qui se respecte, on avait une collection de bons plans. Notamment à Monoprix qui vendait des bombes tout à fait ordinaires en apparence, mais en déchirant le papier qui enveloppait la bombe, cinq ronds de couleurs apparaissaient… de la Krylon ! Je me souviendrai toujours de ce moment, comme un gamin qui ouvre ses cadeaux de Noël.
Les fat caps étaient rares, on a attendu quelque temps avant de connaître le secret des DSP : le fameux cap Decapfour, plus pratique et propre que le cap d’origine trafiqué avec une aiguille brûlante, merci les cloques sur le bout des doigts.
#12 Péché mignon
J’ai pratiqué le graffiti vandale de 1992 a 1999, en peignant essentiellement des trains et des métros. J’ai fait environ deux cents trains et une trentaine de métros. L’année ou j’ai peint ce train, mon modèle préféré, j’étais au max. L’ambiance de l’époque m’évoque 2018, avec le changement de gouvernement, les grèves SNCF et la crainte du terrorisme. Une sorte de cycle, comme dans la mode ou la musique. La boucle est bouclée.
Je suis toujours en contact avec Crier qui m’appelle régulièrement. Il me raconte souvent un rêve récurrent : peindre un whole car ensemble.
A l’époque des serrages de l’affaire de Versailles, Crier est en Espagne. Pendant la perquisition à son domicile, les flics ne trouvent rien, son père avait caché son book chez un voisin. Il venait d’être diagnostiqué schizophrène, c’était une période difficile pour nous et sa famille. L’équipe de Merle a halluciné sur ses toiles. Ils ne se doutaient pas que des vandales puissent être des artistes.
J’ai écrit ce 12Shot sous forme de confession. Je me sers de mon passé de vandale et de mon histoire sur l’origine du procès de Versailles pour la Fame et pour pouvoir vendre des toiles. Ça, c’est pour tous ceux qui vont blablater…
Plus de photos de Faki ici.