J’ai grandi à Bordeaux. En 2002, encore au collège, Ernest Illm emménage à vingt mètres de chez moi. Le gars vient d’un village du Sud de la France, mais va savoir pourquoi il est complètement obsédé par les graffitis. Pour l’accompagner peindre je trouve le blaze Bouh dans un tome de DragonBallZ et on crée le PAL avec Soka, Nayf et Erone. En 2003 on croise les ASV, Disket et Boris, en 2005 les ASM, Rustre et Chemou et vers 2006 on rentre XMN puis CV via Watels qui nous présente Haeck, Lewoz et Dyva. En 2009 on monte à Paris tout les trois avec Watels et Ernest. Depuis dix ans, c’est là que je vis et travaille.
Pas vraiment intéressé par les aventures nocturnes, la lettre reste le focus. J’ai toujours eu un penchant pour les enchaînements wild, et depuis ma première visite de Berlin en 2005 je suis très influencé par la scène allemande. Depuis toujours je me bute à la SF et à la Fantasy, je m’inspire énormément de l’univers des jeux vidéos, de l’art médiéval, de l’esthétique Punk, Metal et Electro Bass/Miami Bass. J’essaye d’imbriquer tout ça dans mes pièces et d’en presser un jus sombre genre électro-médiéval.
#1 Wild à Quatre Mains
Grekernst en 2010. Ernest et moi on a appris ensemble, c’est pour ça qu’on a longtemps eu une construction de lettres assez similaire. C’était une tradition, régulièrement on claquait un wildstyle à quatre mains. Une lettre chacun ou presque. J’avoue qu’aujourd’hui, moi-même je suis plus très sûr de qui a fait quoi.
#2 Camion de Teuf 2008
En vacances avec Ernest dans sa région natale, son frère nous emmène en teuf hardcore. Pleine ramasse le lendemain, on traîne sur le champs de bataille avec une demi douzaine de sprays. Objectif : trouver un gars qui veut faire peindre son camion. A ce moment là on croise les gars des PMB, il y avait Dsek, Rekor et Herpes. On se connaissait pas vraiment mais on s’est mis d’accord pour se partager une place sur le camion du mec. Certainement aucun d’eux ne se rappelle de cette histoire…
#3 Pedro Menace 2012
Ce jour là on avait réuni une équipe improbable sous un pont à Cergy, pas loin de chez moi. Il y avait Nerone, Survet, Saeio, Spektr et moi.
Je voyais souvent Saeio à cette époque car sa copine du moment était très amie avec la mienne, mais c’était un des seuls murs qu’on ait fait ensemble. Je me rappelle qu’il avait fait un premier lettrage en fermant les yeux tout du long. Un Wizzard assez rentré, compte tenu du procédé. Après ça il a demandé aux filles de claquer une foule de petites pièces par dessus jusqu’à tout recouvrir. Enfin il a utilisé cet espèce de all-over de mini pièces toy comme remplissage pour faire un Saeio en coupant avec du fond. J’ai bien aimé cette idée de pouvoir penser différemment le processus de construction du graffiti, oublier les codes et juste se concentrer autour du medium et du support. On peut ne pas aimer son style, même si pour moi on voit clairement qu’il possédait de solides bases en lettres, mais par contre on ne peut pas dire qu’il a pas essayé de faire avancer le truc. Paix à lui.
#4 La Bascule 2017
Cette pièce est loin d’être ma préférée mais elle est pour moi un peu comme la première pièce du reste de ma vie. Elle correspond à une sorte de déclic. J’ai vraiment laissé de côté les murs en arrivant à Paris en 2009 et me suis concentré sur ma pratique artistique qui est très éloignée du graffiti. Jusqu’à ce moment je faisais un mur tous les deux mois, juste histoire de chiller avec les copains et de me rappeler les sensations. J’avais ce style de lettres que je qualifierais de wildstyle générique, complètement basé sur mes acquis. Zéro challenge.
En 2017 j’ai commencé un job assez chronophage qui me demandait de renoncer temporairement au développement de ma production artistique, me laissant juste une journée par semaine pour faire un graff. Du coup c’est venu comme ça, quitte à n’avoir plus que le graffiti, autant tout donner. Je reprends mon tout premier blaze, je vais peindre tout les week-ends et je réapprends à faire des lettres. Le défi c’était d’oublier mes réflexes et d’essayer de sortir de ma zone de confort à chaque nouvelle pièce.
#5 Final Flash
Début 2018, un an après avoir rencontré Emso dans un terrain du 18e, on se motivait à peindre tous les week-ends avec Watels et Ernest.
Un soir on se facetime avec Saez qui est sur Bordeaux pour trouver notre nom d’équipe à tous les cinq. Pour pas changer les bonnes habitudes on récupère le nom de l’attaque spéciale de Végéta le Final Flash. Ça nous correspond bien car on a tous fait une longue pause avant de se remettre à la peinture et c’est maintenant ou jamais qu’il faut tout donner. C’est un peu notre flash final, notre dernière chance de trouver le Onepiece.
#6 Grindcore Action
Ces dernières années j’ai eu l’occasion de réaliser plusieurs logos pour des groupes de métal. J’ai trouvé l’exercice très intéressant pour plusieurs raisons. La construction de ce type de lettrage est très différente de celle d’un graffiti car après avoir défini une composition globale il faut réfléchir à la construction des premières lettres afin de faire correspondre les suivantes en symétrie. J’aime aussi le fait que selon le style recherché, la frontière deviens floue entre le lettrage et l’abstraction pure. Il m’arrive souvent de trouver le même mot de plusieurs manières différentes au sein du même logo et de découvrir par hasard des formes de lettres auxquelles je n’avais pas pensé au départ.
Les premières pièces Black Metal que j’ai réalisées sur mur correspondaient vraiment à un défi, une volonté de sortir de ma zone de confort. L’idée était de trouver une façon de peindre un fond qui puisse à la fois compenser le coté épuré du lettrage et en même temps lui donner de la profondeur pour le faire ressortir. Comme je fais toujours le fond en premier, je dois tracer le lettrage du premier coup tout en gardant une symétrie parfaite. C’est une vraie galère mais sans challenge il n’y a pas de plaisir.
#7 Raining Blood
Tout les étés je vais à Bâle en Suisse pour le travail. L’année dernière j’avais pour la première fois quelques jours de libre sur place. J’ai contacté Roise des Gtk pour peindre, le courant est bien passé et on s’est retrouvés à peindre quatre jours d’affilés.
Pour la dernière session on prend la caisse et il m’emmène vers Mulhouse dans une usine en friche avec Guizmo et des collègues à eux. Il y a des gamins français qui traînent et qui jouent. On fait plusieurs pièces et là on entend un vilain cri. Je cale pas trop mais au bout d’un moment je vais quand même voir.
Le petit est par terre et se tient le pied. Je me dit merde le con a sauté et s’est tordu la cheville. Je lui demande ce qu’il se passe et là il enlève sa main et un flot de sang sort de sous sa malléole ! Une boucherie ! Il a tapé dans une porte en verre. Là mes potes se pointent, ils comprennent rien, je suis le seul à parler français. Du coup je dis aux gamins d’appeler les pompiers mais aucun n’a de téléphone, pas malin… J’appelle et donne une adresse. Et là le gamin me dit : « porte moi ! » C’est mort! Je veux pas être couvert de sang ! Donc je l’attrape je le fous dans un caddy qui traînait et le sors attendre les pompiers. Tout s’est bien fini mais il m’a filé la gerbe à la fin.
#8 Pandemonium
Cette pièce date de l’été dernier lors d’un jam auquel on a été conviés Watels et moi par Nexer – merci à lui. Sloane est un blaze que j’ai utilisé quelques temps pour me rafraîchir les idées et travailler de nouvelles phases, c’est le nom du héros d’une bande-dessinée créée dans les années 70 par Philippe Druillet, un auteur Français que j’admire, qui a entre autres, fondé la revue iconique Métal Hurlant.
Si j’aime cette pièce ce n’est pas pour le lettrage, mais plus pour les couleurs, la composition générale et la thématique. Elle s’inspire du tableau Pandemonium de John Martin, un peintre du XIXe siècle, dans lequel on voit Satan exhorter les forces du chaos devant le palais des démons. Les monstres autour du lettrage sont inspirés des représentations médiévales de l’enfer. Jérôme Bosch et Hans Holbein sont des peintres du moyen-âge qui m’inspirent énormément et dont j’essaie de mélanger les univers avec ceux de mes diverses influences plus contemporaines.
#9 Dune
Régulièrement on essaye de préparer un mur un peu construit. Cette fois-ci c’est Emso qui passe à la maison un vendredi soir avec de la bière belge et du cidre pour dessiner le mur du dimanche. Il a vu une affiche réalisée par un illustrateur pour Dune, le projet de film inachevé d’Alejandro Jodorowsky, d’après le roman de Frank Herbert. Le livre qui regroupe les illustrations préparatoires du film est devenu un objet culte auprès des amateurs de science fiction. L’idée était était de rendre hommage à ce projet légendaire.
De manière générale ce mur illustre bien ma façon d’aborder mes pièces. Je passe beaucoup de temps à dessiner le lettrage et pour un maximum de lisibilité je choisi toujours un remplissage très simple. Avec le temps qu’il me reste je peux m’appliquer à construire un fond complexe et beaucoup plus chargé, qui contraste avec l’intérieur épuré des lettres.
#10 Dragon Force
C’est Saez qui m’a parlé de ce mur, une surface de fou quasi-vierge dans un coin tranquille de la banlieue bordelaise. Propre sur le papier. Je passe voir le spot et là je vois ce grand mur couvert de ronces, des buissons de deux mètres de haut. On est allé prendre du matos chez mon pote Soka, taille-haie à essence, coupe-coupe, gants et échelle et on a nettoyé tout ça dans la journée, on a pu peindre le lendemain. C’était épuisant avec la chaleur mais ça valait le coup. Je verrais bien ce mur en fond de DragonForce – Through The Fire And Flames sur Guitar Hero.
#11 Monarchs to the Kingdom of the Dead
Cette pièce est une des plus abouties parmi les récentes. J’aime cette combinaison entre un lettrage travaillé mais sans effets et un fond illustré dans une gamme de couleurs simpliste. Un bon exemple de la direction que j’aimerai prendre dans le futur. C’était à l’occasion de notre premier voyage avec l’équipe complète à Rotterdam. On a eu la chance d’avoir une des seules journée ensoleillées de la saison, avec 27°c, des bonnes bières et Watels qui disparaît à 13h pour revenir avec un barbecue pour tout le monde. Ce mec est un héros.
Nous avons été incroyablement bien reçu par Bez. C’est un des pionniers du graffiti en Hollande et en Grèce, et un letterist hors-pair. A l’image de son crew DFP, qui est une source d’inspiration permanente et qui, depuis leur début, selon moi, comptent parmi les lettreurs les plus innovants. Qu’il s’agisse de Senor, Kerts, Wobe, Ante, Nok, Sonik ou plus récemment Func, ils travaillent tous un style extrêmement recherché et décomplexé à la fois, frôlant l’ignorant mais en gardant toujours de solides bases classiques/old school. Maximum respect, et encore merci Bezer !
#12 Farewell
Je pense que certains vont reconnaître cet endroit. C’était un petit mur du nord de Paris, on y a peint pendant seulement un an avant qu’il soit détruit. C’est là qu’on s’est remis à peindre avec Ernest et Watels, c’est là aussi qu’on a rencontré Emso. Cette photo a été prise pendant qu’on visitait le chantier pour y faire une dernière pièce avec Emso. On a eu quelques belles photos sur du vierge avec Montmartre et les voies en fond. Farewell.
Plus de photos de Bouh ici.