Autant commencer par le début qui n’en est pas réellement un. Cette page de blackbook contient cependant beaucoup d’informations intéressantes à décrypter. On arrive à lire 1986 mais mon aventure dans le monde du Writing débute dès l’été 1984. Des centaines de sketchs directement à l’Onyx marker. Encres imbibées d’alcool et lettres grossières sur papier informatique trouvé dans les poubelles. Je pataugeais dans l’ignorance.

En 1984, en France tout au moins (à Amsterdam ils ont eu la chance d’avoir une exposition importante des maîtres new-yorkais dès 1983), presque rien ne nous arrive, des bouts de murs dans des clips entre-aperçus dans des reportages télé. Des fragments de lettres, du Bronx qui s’effondre, des trains bariolés qui transportent la guerre des styles. Epoque magique car elle força quelques-uns d’entre nous à ré-imaginer et donc renouveler malgré eux la grammaire du Writing américain, lui déjà parvenu à la maturité de ses 16 ans.

1986, ici, donc. La photo qui me rendit célèbre en étant publié dans Spraycan Art. Je ne méritais pas cette « fame ». J’étais juste assez dingue et un peu chanceux pour être au bon endroit, au bon moment. Pas d’être là pour la photo. Mais de choisir cet endroit comme terrain de jeu. Les jeunes étaient tous à la new wave et moi j’étais aux ronces et aux caillasses. Avec une petite douzaine d’autres morveux.

Vu le style des dessins, il est clair que le livre Subway Art est arrivé dans le terrain de la Chapelle où la photo a été prise par Henry Chalfant. Mon inculture a été soignée. Je copie et recopie, décortique chaque mural, chaque train pour tenter d’en comprendre la logique. Il y a du Dondi ici, du A-One (le personnage avec un afro) et l’inaltérable cliché de cette culture : le personnage de Vaughn Bodé. Sur la photo, le jeune bboy à frisettes, avec ses Adidas customisées en rose, n’a pas une grande personnalité. Il est encore lui-même un cliché. La philosophie du Writing que je comprends encore à peine, c’est tout le contraire : évoluer, progresser jusqu’à devenir le porte étendard de l’avant-garde. Puis (se) mettre à l’amende encore et encore. Et avancer.

Le puceau ou presque se prend même pour Michelangelo-ne. « Urban dog soldier » versus Chirac ! C’est ça. Va jouer baltringue. Tu as deux ans au compteur et vu ton pompage de megatoy, va falloir un peu bosser avant que tu sortes du lot. Ici ou sur Instagram, qui par chance mettra des décennies avant de pervertir les règles, les hiérarchies, et soulager la bonne société de la nature réelle de la pratique.

#1

Saut dans le temps. Grand écart quantique qui éclate l’effort chronologique de ce petit voyage. Pas de panique on y retourne ensuite. Un grand dessin de 2019. Le gamin crâneur, qui se prenait pour Michel-Ange, a pris 33 ans de plus dans sa face et se nomme « pour de vrai » LOKISS. Je suis toujours là. Pas vraiment dedans. Pas vraiment dehors. Énormément de choses que je vais survoler ensuite sont arrivées. Personnelles et culturelles.

J’ai défini un style, puis je l’ai dépassé (je ne suis pas ici pour vendre des chaussettes « Lokiss » au Monoprix local) puis j’y suis revenu en l’alimentant des divagations précédentes. La lettre est devenue un visage devenu un « bomb » sans retardement. Trop à l’étroit dans son cadre social, dans sa prison culturelle. Pas d’autre issue pour ce garçon que de se faire sauter. Ou de tout faire exploser. Ou les deux. T’as jamais vu ça à la télé ?

D’autant que l’arrivée des muralistes de la scène « street art » vers le début des années 2000 a lourdement changé la donne. Il y a plus efficace que de karcheriser les tags et autres lettrages incompréhensibles : les recouvrir de fresques multicolores dont le langage graphique, publicitaire est immédiatement apprécié par le public (qui ne supporte plus cette fièvre vandale et l’insolence libertaire qu’il véhicule). Travail de série, chaînes infinies de « paquets de lessive », les street artists rassurent la ménagère, toute excitée par tant de virtuosité. Et eux ils sont sympas !

Hey attends ! Ce street-truc n’est pas venu de nulle part. Ma vision n’est en rien manichéenne et refuse d’opposer les deux scènes. La scène du Writing a très vite contenu une majorité de décorateurs, de virtuoses et, en face, une cellule de personnes plus aventureuses (les vrais artistes ?). Bien loin de la beaufitude ambiante et d’un académisme qui s’est tragiquement installée à ses côtés.

Faisais-je partie de cette minorité d’éclaireurs ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que cette même majorité aimait très moyennement que je ne fasse pas des chromes « comme tout le monde », nous a jeté des pierres quand Skki et moi avons intégré le rouleau de peinture vers 1987, et avait très envie de me gifler quand je leur gueulais avec l’arrogance d’un ado nucléaire : « moi je peins pas de la bande dessinée pour ma mamie, je fais du wildstyle ! »

Et en 2019, alors, je dis quoi ? Dans ce dessin ? Aux chefs déco qui ont remplacé les sauvageons. Au petit hipster qui force sa maladresse pour singer les lettrages des origines. A l’entrepreneur, spécialiste en marketing urbain, qui joue le voyou sur les murs de nos jolies villes. Villes dont le parcours « street art » est un indispensable atout touristique. A moi-même, qui s’est parfois laisser piéger, par orgueil, par narcissisme malsain, dans des compromis finalement inadmissibles.

Le Writing. Allez le « graffiti » (le fantôme de Phase II me lance des éclairs en ce moment car j’utilise le mot interdit) je le vois, je le ressens comme un art de combat. Qui déborde des pistes cyclables qui lui sont accordées. Avec la condescendance du maître donnant l’aumône au suce-pompe qui rêve de le séduire. Pour lui placer 50 lignes de tags coulantes au-dessus de son canapé. Mais sans le tâcher hein ?

« L’art sauvage », qu’il soit illégal ou légal, ne doit pas s’intégrer dans l’architecture, mais bien au contraire, la parasiter. En reprendre possession, en y injectant le sentiment de sa vulnérabilité. Surface interdite de train ou ciment dégradé : l’impulsion doit conserver sa désobéissance, sa violence brute. La possibilité du bombardement global.

Le graffiti est un art du mot, et, la pratique, manifestement immortelle, en a poussé la grammaire visuelle à un point rarement atteint auparavant. C’est d’abord un sabotage sémiotique. Une prise en otage des slogans politiques et des logos publicitaires qui se finit très mal. Pas à l’intérieur de l’honorable musée. Non. Plutôt dans le parking de la tour C. Ouais, là où ça pue la pisse. Autant dire, où le réel suce la mort.

Ces idées, les miennes, pas celles d’un manifeste qui n’a jamais été écrit, voilà ce que je rappelle dans ce dessin et qui inspirent, même parfois de manière indirecte, les 11 productions que je vais vous présenter ensuite.

Le Writing n’a pas été conçu par des punks du ghetto new-yorkais pour se métamorphoser en un art servile de la plus jolie pin-up, ou de la meilleure reproduction d’une image entièrement conçue sous Illustrator et déclinée comme une savonnette. Ou réduit à une pâle copie, à la madmaxx, des maitres de l’abstraction du siècle dernier.

On parle de « wildstyle ». De « burning ». De « style wars ». Peut-être devrais-tu garder tes throw-ups roses pour la chambre de ta petite sœur ? Et lui carrer tout tes produits dérivés ? Sois pas choqué. Toi seul. Tu es l’insulte. Celle contre une culture dont tu détruis tous les fondements et à laquelle tu dois tout. N’oublie pas ça… Profiteur de guerre. Pardon. Poucave !

Sinon autant être d’accord avec tous les curateurs et acteurs de l’art contemporain qui vomissent sur cette culture. A juste raison ou pas ? On y reviendra plus tard.

#2

Quand Monsieur Drips m’a demandé une sélection de 13 images, je lui ai précisé que c’était presque impossible. Mon travail, sur presque 40 ans, brasse trop de phases créatives différentes qui elles-mêmes brassent des média distincts. Mais Monsieur Drips est frappé de la même psychose : il se métamorphose en Jacques Martin animant l’école des fans sitôt que l’on pénètre le monde magique de l’art urbain. Où tout le monde est l’égal de tout le monde. Où tout le monde s’aime et se respecte. Même régime pour tout le monde, mon bon Monsieur ! Haha, je ne lui en veux pas. Je gaze … Sinon je ne serai pas là à répondre à son invitation dont je le remercie.

Pourtant… Il n’y a pas plus compétitif que le Writing. Plus violent que cette pratique. Plus hiérarchisé. Même si le nombre de followers a fini par l’emporter sur le résultat réel du ring, le Writing fonde une dictature, pas une douce démocratie. Sans doute, parce-que l’exercice a été créé pour vandaliser une autre tyrannie. Égo contre état. Spray contre taser.

Mais non. La Chapelle comme tout terrain, tout dépôt, ça se situe aux quatre coins de l’île aux enfants. Où l’histoire s’efface sous le sucre glace. Où 5 tags posés une nuit d’ivresse valent 25 ans de recherche et de prise de risque. En même temps, ses 5 tags qu’il n’a pas oublié de photographier et de poster, ont reçu 5000 likes par éjac précoce. Donc le « king » … bah c’est pas toi. Ni Azyle et sa casserole à 50 bâtons. C’est lui. Ou elle… Se contraignant à sexualiser sa pratique comme si le Writing n’était pas assez sexuel dès le départ. Talons, string ficelle qui dépasse, bombe phallique en main, ma gueule, même une toy totale péterait ton score !

Oups. Revenons à la bienséance de cette conférence. Silence dans la salle s’il vous plait. S’il vous plaît ! Je ne déraperai plus ! On se calme ou j’évacue la salle d’audience ! Cher public, voici la photo d’une pièce emblématique de 1988. « Duel » incarne le moment où je m’arrache du vocabulaire classique du Writing. Oui, dès 1988, on peut parler de classicisme, le gros a été dit, et redit, et sera ensuite uniquement poussé, via l’introduction de l’illusion 3d. A vrai dire, dès l’été 1972 à New York, les bases du lettrage sont en place. Mais j’ai écrit un livre à ce sujet donc je ne vais pas m’étendre ici.

Sans la rencontre avec Deub, je n’aurai jamais imaginé faire éclater le contour et confondre la lettre et le fond dans une même dynamique. Ce processus ultra classique dans le domaine du grand Art, notre sous-culture en est ignorant. Le « déjà-fait » ou (mieux) le « ce qu’il reste à faire » pour briller dans l’avant-garde du blanc musée, on en sait quedale. Il y a cette liberté du cancre, de l’adolescent qui boit sa propre adrénaline. Isolé dans sa différence et qui en jouit pleinement. Grâce à Deub, Kupka, le couple Delaunay ont rejoint mes références plastiques et pas d’avantage car ces artistes n’ont jamais travaillé la moindre typographie (ou je ne le sais pas davantage). L’aplat pur, l’effet de vitesse, je transforme la lettre en une détonation. Et le mot en une explosion des particules qui le composent. Avec la candeur d’un adolescent.

Ce style m’identifia immédiatement. Phase II que je rencontrais peu de temps avant sa mort m’en félicita plusieurs décennies trop tard car ce mur ne fut pas, on s’en doute, plébiscité par la petite tribu qui composait la scène graffiti d’alors. Regardez les murs de Bando et des BBC de cette époque, et contemplez le fossé pour vous en convaincre. D’ailleurs, certains y voient les prémices de que je condamne actuellement dans le street art. Je comprends et je respecte ce point de vue. A force de saborder les règles, j’en serai venu à détruire le fond même de cette culture. Mais jusqu’à preuve du contraire, quand un mouvement tel que le Writing devient un simple folklore, autant aller danser ailleurs, non ?

En tous les cas, j’avais 19 ans, pas 30 et un plan de carrière en tête. C’était un terrain vague que j’avais en face de moi … Pas un marché de l’art urbain à conquérir. Ni l’envie de coller un même papier peint pour la vie.

Puéril, naïf, mais, tête brulée. Mon slogan aurait pu être : « Arrête-moi pour voir. »

Chut. Bouffe ton buzz. Tu as jamais réussi.

#3

Cette photo est la réponse à celle de Spraycan Art que je vous aie montrée au début. Juste 3 ans les séparent. Je n’aurais pas pu vous épargner ma tignasse d’alors ! Y’a pas du henné dans ces boucles ? Baaa… ça y est le bboy se dissolve progressivement. Mutation en cours. Merci Rammellzee de m’avoir pété le cerveau !

1989 au plus tard. On est plus dans le nord de Paris mais dans le sud. La Chapelle c’est plus ça… c’est parti en vrille, comme on pouvait le craindre, et je ne peux pas être là pour défendre mes murs 24/24 contre les attaques et autres recouvrements faussement accidentels. Un terrain de basket abandonné près de la station Convention. Une autre zone abandonnée où tu as plus de chances de rencontrer une bande de skinheads que tes potos.

Seconde phase de ma transformation artistique. La lettre, passée l’explosion originelle, continue sa mutation et devient un visage. Les formes et les connexions graphiques sont identiques et cela d’autant plus que, de toute façon, je ne sais pas dessiner. Cette formation « classique » approche, elle sera courte. C’est un immense cliché, mais ma meilleure école fut la rue et la création en situation de crise où l’évitement du risque est aussi important que la qualité technique de ta peinture. Grace à cet apprentissage sous pression, (comme chaque writer) j’ai développé un esprit de synthèse entre l’environnement et le sujet de ta création, une vivacité mentale proche de la stratégie militaire que je n’aurai jamais pu acquérir dans une école type beaux-arts. Où je me serais ennuyé ferme de toute façon. Les professeurs n’y étant pas des « kings » …

Ce sont des années extrêmement importantes. J’opte pour la frontalité. J’interpelle directement le spectateur. Pas d’humour. Pas de joliesse. Pas de décorum. Juste du riff, du beat et de la syncope. Ce n’est pas loin de l’agression visuelle où c’est ressenti comme tel quand j’écoute les retours. L’otage c’est toi et je suis le bourreau. Bien malgré moi !

Mais c’est encore trop un exercice graphique qui s’auto-suce. Ce qui est le fait de l’immense majorité des pièces de Writing. Maniérisme qui sera teeeelllleeeement plagié (non, je ne listerai pas les noms, même les street machins, oublie), aucune importance. C’est une étape. Une parmi des dizaines.
Je ne veux pas rester graphiste. Même si je refuse de me l’avouer, c’est artiste que je veux devenir. Et ça, ça demande plus de convictions que d’efforts de séduction. Plus de réinvention et moins de répétition.

#4

Tiens un dimanche en 1989. On aurait pu poser nos blazes en écoutant Radio Nostalgie avec Seen aux platines. Raté. Notre crew c’est « Lybian Killers », et on fait dans un autre genre de barbecue.
Skki. Moi. Coups de rouleaux visibles. Rires perceptibles. Technique très approximative et pourtant … on m’en parle encore. En Angleterre, en Australie : « Orgasma penetratorz » ! Bizarrement un anglais me dira des décennies plus tard que ce qui l’avait frappé c’était le fait qu’on se soit superposés. Une originalité qui m’échappe encore aujourd’hui.

Skki est sous influence de Phase II évidemment et du style bio-mécanique de Giger. Il y rajoute sa sauce post apocalyptique. Et toujours cette odeur que ça dégage. Tu sais les caves de la Tour C…
Pour ma part je pourrais vous la jouer « déconstruction de la lettre » et poser mon discours sur un tas de blabla censé impressionner la galerie. Mais en 89, y’a pas de galerie. Juste des galériens. Le free style c’est le truc chez les plus téméraires avec le risque que tu sortes une bouse intersidérale. Le visage en est une. Visiblement le dessin c’est toujours pas ça. Dommage car la dynamique lancée par le B est bien sentie. Un missile lettriste prête à dévorer le reste du mot. J’ai du découvrir le « Guernica » de Picasso en le remâchant ici … Version cartoon. Le visage bien maladroit me fait penser à celui de la femme hurlante sur ce tableau.

Il y a 2 ou 3 heures max de travail sur ce mur. Ça sent tellement le jeté. L’impulsion immédiate et pas bien réfléchie. C’est tout son charme. Ma pièce, c’est comme un lettrage de Kase 2 que j’aurai balancé contre un mur. J’aurais ramassé les débris, puis je les aurais réassemblés en ne me concentrant que sur les lignes de force du mot « Bomb ». Associant la forme et la signification du mot explosif.
C’est ça qu’on appelle le graffuturisme ? Mais on est en 1989. On reste sérieux. La villa Médicis, on pense que c’est un club échangiste à Mantes-la-Jolie.

Et puis, Skki, pleure pas mais on nous invitera pas avec notre monstre dans la moindre Urban Art Fair. Tu pleures pas ? Tant mieux. L’expérimental c’est plus énivrant que l’institutionnel. Et le laboratoire plus que le marché. C’est Public Enemy qui nous brûle les tympans. Pas PNL.

Une autre planète donc.

#5

Je vous avais prévenu. 40 ans en 13 clichés c’est proche de la mission impossible. Donc ma chronologie a une progression forcément irrégulière. Il faudra demander à Brusk, car je n’arrive jamais à dater précisément ce détail de fresque (son travail est à droite et donc caché sur ce cliché). Vers 2003-2005 je dirai. Vous pensez bien qu’il s’est passé deux trois choses entre 1989 et cette date… On est à Lyon. Dans la friche locale. D’anciens dépôts SNCF si je ne m’abuse.

Première fois que je travaille avec une esquisse colorée. Préparée sur ordinateur. Fallait bien que j’essaie : quelle galère, moins de risque, moins de plaisir. Mais je me rattrape sur la longue improvisation de gauche.

Depuis 1998, j’ai tout arrêté niveau peinture en atelier déjà. Je me consacre totalement à l’apprentissage des logiciels de création. Premier ordinateur et premières créations sur Photoshop, Illustrator, After et surtout, surtout Flash. Je publie des animations graphiques et vectorielles presque tous les deux jours sur mon site internet qui ne cesse de se transformer. J’ai un autre genre de public à ce moment-là ! Pornografux.com, Bloodbonus.com et évidemment Lokiss.com sont des gros terrains d’expérimentations où j’invite d’autres net artistes à s’exprimer. Principalement des Américains qui déboitent sévère sur le réseau. Encore libre et créatif. Je pourrais éditer un livre juste à propos de ces projets tellement j’ai conservé de contenu.
Je parle de tout ça car ce mur est évidemment influencé par ces animations et tentent d’en simuler les accélérations à 100 images/seconde. Que je vienne au « vectoriel » sur ordinateur n’est pas très étonnant quand on regarde les œuvres précédemment présentées. Tons purs et économie de moyens pour obtenir l’effet le plus percutant.

Autour des années 2000, la surveillance par les états des communications sur internet s’amplifie. Nous allons également vers l’encadrement commercial des flux d’informations. Aujourd’hui on en parle, mais on s’est habitué. Monter une fanpage sur Facebook, c’est quand même plus facile que de coder un site depuis zéro. La paresse, voilà pourquoi ils ont gagné. Et en miroir, le public préfère une tour 13 plutôt que s’immerger dans l’inconnu d’une friche réelle. La paresse aussi. La peur évidemment.

Le terrain vague est devenu un cirque. Une autre zone commerciale avec son bar, ses toilettes sèches. Et ses « artistes » stérilisés. Plutôt que de construire une Histoire, on en récrée une en deux semaines. Le mythe devient une opérette dont on n’oublie pas de publier le livret pour entériner l’imposture.

Cette surveillance policière c’est aussi celle de la rue. Et ce mur ne parle que de ça.
L’attentat du World Trade Center c’est 2001 et ce mur s’en fait évidemment l’écho.
Voitures piégées. Escadrons de bombardiers. Frappes chirurgicales (qui débordent un peu) et l’horreur d’Abu Ghraib ou de Guantanamo …
Tout ça, mes sites internet ont font déjà la chronique.

Autant mon travail d’atelier ne va parler bientôt que de ma passion pour l’astrophysique, autant quand je suis dans la rue, je n’oublie pas que je suis dans l’espace public. A situation différente, sujet différent. Je suis là pour la confrontation. C’est ma seule utilité sociale sinon pourquoi continuer sans rappeler le chaos que l’on veut dissimuler ?

Faire rêver ? Faire rire ? Pourquoi ? A un public déjà anesthésié ? J’opte, et cela ne changera jamais, pour la claque au visage. Et ma palette de couleurs va progressivement se réduire au minimum pour se concentrer sur le seul impact et non les fioritures, les ornements dont dégoulinent les fresques « feu d’artifice » qui fleurissent partout.

Je suis un writer. Pas un menteur.

#6

Cette œuvre réalisée avec l’artiste autrichien Grrrr pourrait contredire ce que je soutenais juste avant : la situation impose le sujet qui lui-même imposerait le choix du medium. Je suis à Berlin, dans la galerie Neurotitan. Autour de 2005. On est en intérieur, et le sujet ressemble fortement à celui du mur précédent. Ok le style est totalement différent. Je peins au pinceau. Et j’intègre une télévision qui balance une de mes vidéos faite pour l’internet. Et pour rajouter au désordre, cette vidéo inclut des vidéos d’actions de vandalisme dans le métro. Vous suivez toujours ? Oui ? Alors si je vous dis que le titre de la vidéo est « Bed protocol », vous arrivez toujours à vous projeter ?

J’ai choisi cette installation. Déjà parce-que je continue à l’apprécier, ce qui est rare. Et car elle est aussi une bonne liaison avec ce qui suit. Elle confirme également mon refus de m’enfermer, de me formater autour d’une seule écriture. D’une seule technique. Voire d’une seule culture.
Est-ce encore du Writing ? Non, je ne le pense pas. Est-ce un cousin ? Oui, aucun doute.
Est-ce que je sacrifie « ma carrière » comme de nombreuses personnes me l’ont gueulé au visage, par ces bascules stylistiques et accessoirement des prises de positions pas exactement consensuelles ?
Ma réponse : « Désolé Madame la juge, c’est plus fort que moi ! J’ai deux trois idées et j’essaie d’agir et de créer en conséquence ! Et aussi, je m’ennuie vite ! D’ailleurs tu m’emmerdes !! »

Entre nous, on aurait pu très bien intituler ce mur « Orgasma penetratorz » et vous n’y auriez vu que du feu. Au premier comme au second degré.

#7

Toujours dans la zone 2003-2005, je parlais de création sur ordinateur : voici de la modélisation 3d avec deux rendus dont un vectoriel qui s’entremêlent et interagissent. J’ai omis volontairement d’intégrer dans cette suite limitées de 13 photos, des sculptures et de très nombreuses peintures pour essayer de garder une cohérence. De ton déjà et de sujet. Dommage, car vous auriez vu que je ne suis pas continuellement en train de casser de rage ma guitare sur l’ampli ! Puis d’achever l’ensemble à la tronçonneuse.

Comme je le précisais auparavant, une grande partie de mon travail artistique est influencée par ma lecture de publications scientifiques dans le domaine de l’astrophysique et de la mécanique quantique. Inspiré par la philosophie des sciences, tu es naturellement amené à produire des œuvres nettement plus méditatives, contemplatives, (oserai-je dire « positives » ?) que celle-ci par exemple. Le fracas, la guerre, l’apocalypse parcourent cette sélection et ça n’est pas terminé… Mais je ne suis pas que ça, ce serait trop simple.

Un pied dans le cosmos et l’autre dans la boue de la planète. Je suis comme vous. Je peux admirer un paysage ou une cohésion humaine mais je ne vois pas l’intérêt ni d’en parler ni de les reproduire dans le domaine de l’art « de rue » ou des œuvres directement influencées par lui. C’est la politique qui reprend le dessus ici et l’horizon devient alors plus sombre et destructeur.

Entre le visage de 1989 et ce visuel, le sens n’a pas changé. Le paysage planétaire non plus.
La position du visage en 3/4 et l’angle de vue sont même analogues. C’est la première fois que je le remarque, tiens. Même regard de terreur, même soif de tuer.

Ici, ce n’est pas une fresque mais une image numérique qui fut vendue en tirage d’art. La vente avait bien marché si je me souviens bien. Normal, on a toujours une fascination pour la violence. Il y a une dualité en nous identique à celle qui transparaît dans le regard du personnage. Conglomérat de tanks et de missiles perforants. Quand j’étais sous influence de Kupka en 1988, je peignais en une seule dimension avec une très légère profondeur de champ. Là l’explosion se dirige vers le spectateur. L’illusion de la troisième dimension est activée. J’ai appris et je rends encore plus tangible le sentiment du bombardement. Un jour ce sera de la VR et un jour, peut-être, ce sera réel pour nous (disons que ça jouera à domicile pour une fois). Alors l’art … quelle importance ça aura ?

Pas une prophétie. Juste un témoignage.

#8

Le métal a toujours fait partie de mon travail en tant que matériau. Dès 1992, je l’intègre en volume ou en support de peinture.

Je ne peux pas me considérer comme un vandal de train. Pas de mytho coco ! A part quelques escapades dans les yards à New York pour toucher « la magie » et quelques aventures parisiennes dont une qui s’est plutôt mal finie avec un impact de flingue dans la tête (ah le toucher de pianiste des vigiles de la Ratp…), je ne peux décemment pas parler de la sensation de peindre la surface métallique d’un métro. Même si…

Donc je n’essaie pas de retrouver ici le métal du wagon. Je n’ai pas exposé des tags sur des plaques émaillées de la ligne 6. Autant se pendre ensuite…

C’est une relation innée que j’ai avec le matériau. Sa couleur argentée aussi qui me ramène sans doute au chrome des bombes. Et pourtant, comme je l’ai écrit précédemment, je n’ai jamais penché pour la peinture de blazes chromées. Je ne suis pas au bout d’une contradiction… Tant que ça ne ressemble pas à une trahison, ça me va. Ma palette se réduisant de plus en plus, on peut intégrer cette teinte avec quelques gris, du blanc, du noir et les indétrônables rouge et orange. Pas besoin de plus dans des peintures, des sculptures, voire des vidéos où seul compte le dessin. Le dessin et rien que le dessin.

On ne peut pas tricher avec le dessin. Et j’inclus le dessin figuratif qui est encore plus exigeant. Difficile de sombrer dans les effets ou de camoufler tes faiblesses avec ce médium. C’est d’autant plus vrai, que lorsqu’un artiste a un dessin faible, il a très vite tendance à tourner en rond. Son registre de formes est limité et ses automatismes sont frappants. Comme des tics de langage visuel. (J’en ai aussi, qu’on se rassure…)

Je ne veux même pas m’étendre de nouveau sur ce que l’on nomme « l’ignorant graffiti » ou à l’opposé sur les milliers de sketchs de graffiti ultra passéistes que je vois passer sur les réseaux sociaux. Ce sont les deux extrêmes de la même soupe. A part, que la première scène ne pousse pas son snobisme morbide, jusqu’à reproduire au posca l’âge d’or new-yorkais sur des wagons en plastique ou des boites aux lettres. Mais au fond les petits canards pataugent dans la même mare, non ? La même récupération malsaine, hein ?

Je suis parti de zéro pour le dessin. Et mon apprentissage est continuel. Je suis encore très loin de la vraie liberté. (D’un Moebius, d’un Syd Mead, par exemple). Mais je travaille beaucoup à ce niveau-là. Ce bas-relief en inox, de 2 mètres de diamètre, n’est pas autre chose qu’un dessin selon moi. Une esquisse sur papier l’a précédé. Puis je l’ai retracé sur Illustrator pour préparer la découpe des 500 éléments de puzzle qui le composent. Les trois vapeurs à la bombe auraient pu très bien être la reproduction d’ombres à la mine de plomb. C’est une première étape avant que je réalise la transposition des visages commencés de 1989 sur mur en objets tri-dimensionnels. D’autres sculptures sont allées plus loin dans cette direction ensuite. Allez voir mon site internet Lokiss.art pour le constater.

Quoi qu’il en soit, pour cela, j’hésite encore entre la sculpture réelle et la modélisation virtuelle (visualisation par casque VR). Dans les deux cas, si mon dessin est laborieux, je suis mort. Ce bas-relief cherche à donner l’impression de plans successifs, de profondeur dimensionnelle, mais… Je ne suis pas fan d’illusions d’optiques. En gros de « trucs ». D’autant que… Quelle que soit la manière avec laquelle ce processus de transformation va suivre son cours, s’il ne se justifie pas par autre chose que lui-même, donc son esthétique et sa valeur technique, qu’il ne trouve pas un vrai sens, qu’il ne serve pas un vrai propos, je l’abandonnerai et voilà tout.

#9

Sélection serrée oblige, je n’ai pas pu intégré des captures d’écran de sites internet ou d’animations flash dont j’ai parlé auparavant. Pour la seconde session de « Backjumps Live issue » à Berlin en 2005, j’ai commencé à travailler sur un des deux films qui constituent cette installation vidéo. Celle-ci a été achetée par le Mucem (Musée d’art contemporain de Marseille) l’année dernière. Sur la partie gauche, le titre du film est « Battle » et sur celle de droite, « Territory ». Je pense que rien que le choix des titres vous informe d’emblée de l’influence massive de la culture du Writing dans cette installation. Plus précisément, j’utilise son langage mais le Writing n’en constitue pas l’unique sujet. Normal, j’adore extrapoler. Grâce à l’animation graphique, j’extrémise cette forme d’expression (et certaines particularités qui me sont propres), car je n’ai plus aucune limite de technique et de cadre. Des syncopes déjà anciennes si vous suivez depuis le début.

Traiter du concept de la confrontation ou de celui de l’appropriation d’un espace (la forêt dont je me sers dans « Territory » symbolise n’importe quel environnement, n’importe quelle géographie) trouve sa source dans ma pratique en tant que writer. Mais en soit, ce sont des thèmes qui en dépassent les limites et dont le champ devient universel.

« Battle » est un stéréotype rattaché plus généralement à la culture hip hop mais nous renvoie implicitement à l’idée même de friction communautaire ou celle de conflits politiques. Effacer un tag, une fresque, c’est nier une identité et en cela, on ne peut pas limiter cette problématique de l’aliénation sociale à notre seul mouvement. Ne pas devenir la victime consentante d’un urbanisme avant tout orienté vers le commerce n’est pas une question que, seul, son principal parasite, le tagueur, peut se poser. Marquer un terrain vague, les rues de son quartier, c’est aussi reprendre possession du plan de sa « propre ville » en dehors de toute diktat d’une municipalité.

D’ailleurs, c’est une des raisons pour laquelle j’ai toujours refusé de peindre « les murs » qui fleurissent aux quatre coins de la France. Je m’en suis toujours expliqué pour le coup très sereinement. J’en critiquais et l’illusion « d’art libre » et l’arrogance contenue dans le fait même de produire une œuvre pour la laisser être recouverte par un(e) autre quelques mois plus tard. Je suis de la vieille école, me recouvrir et cela sans mon accord c’est déclarer la guerre. Rien de délirant en soit. Quel artiste « normal » accepterait que son œuvre soit recouverte, qu’elle devienne jetable ? Un simple outil municipal pour canaliser le vandalisme et donner une fausse absolution aux peintres de rue… La grande blague. (Et merde cette parenthèse s’étend !) Alors vous allez me dire, mais tu as peint pour Art Azoï et ta fresque a été recouverte quelques mois plus tard après son exécution. C’est vrai. Vous avez vu la fresque ? Regardez la avant de me juger. Quelle ville validerait une fresque qui traite des attentats du Bataclan de manière pérenne ? On est pas à Belfast ici, ni au Moyen Orient. Nous, la guerre, on laisse notre armée la faire, là-bas, au loin, mais on ne veut surtout pas la voir sur nos murs. Même quand elle fait indirectement des dizaines de morts sur Paris ou Nice.

Avec le pavillon Baudoin, j’avais l’espace, même temporaire, pour changer un peu la donne. Et montrer de l’engagement et non peindre une énième opérette graphique qui ne veut rien dire. Sinon à annoncer la prochaine expo où vous trouverez exactement la même sauce… Quelle surprise. Le Writing en tant qu’egotrip a ses limites quand l’effort promotionnel sous-jacent devient si opportuniste et vulgaire. Et le public n’a qu’à subir comme il subit les panneaux publicitaires que le Writing étaient censé combattre. Je clos la parenthèse. Merci de votre attention.

Je reviens à l’installation vidéo, à son contenu et son intention. D’autant que cette volonté de transposer le langage du Writing en images, en sortant des vidéos d’actions ou de light painting, a été dépassée ces derniers temps. J’en viens à même faire disparaitre l’esthétique propre pour n’en conserver que l’approche spécifique. Je veux continuer à croire qu’il y a une philosophie rattachée à cette culture. Comme il y en a une rattachée, je ne sais pas, à l’organisation des free parties ?

Je ne parle pas d’un ensemble de règles, ou même d’idées que les pionniers auraient exprimées dès le début. Un peu, comme des « évangiles ». Je parle davantage de l’analyse que l’on peut faire d’un geste finalement tribal, bestial de la part du writer. De son choix du hors-ville, du hors-musée et pour la plupart du choix de l’illégalité (chose extrêmement rare dans l’histoire de l’art, hors dictatures s’entend). C’est évidemment très subjectif. Et je suis sûr que l’approche de Doze Green n’était pas celle de Phase II, et celle de Seen proche de celle de Rammellzee.

Ces deux films se clôturent sur une forme d’épilogue type « catastrophe ». Et cela de manière symbolique ou clairement explicite (pensez qu’il y a deux films en projection simultanée sur deux écrans mitoyens). En résumé ou c’est suggéré ou c’est frontal et cru. L’usage de ce vocabulaire n’est pas un prétexte « arty ». Il a été formé sur la base du combat, du vandalisme et du contournement de la propagande des mass-média. Il est donc optimisé pour aller sur des sujets où l’art contemporain met les pieds avec parcimonie, sinon de l’ironie et du cynisme. Quand il n’ignore pas totalement cette actualité. Au moins sur l’instant.

Prendre du recul c’est prouver son intelligence ? Ou juste sa lâcheté ? Et surtout. Clamer en tant qu’artiste « je ne fais pas de politique », hey banane, c’est justement en faire, et pas de la plus belle manière si tu vois ce que je veux dire.

L’art contemporain peut se gausser de la naïveté du Writing, il peut ricaner devant la pauvreté puérile de ses sujets. Mais il devrait peut-être prendre un peu du courage de certains de ses acteurs… le Writing parasite encore ce réel quand le grand Art soigne ses petites provocations dans des salons cliniques qui leur sont dédiées. On opacifie tellement le langage artistique que l’expression « aller au contact » perd tout son sens dans le musée quand elle est emblématique dans l’acte du writer.
En même temps, ici encore, inutile d’être partial et manichéen. Ces chapelles ont au moins un point commun : une fatale consanguinité où chaque artiste finit par ne communiquer qu’avec un seul public, une seule classe socio-culturelle : la sienne. La pièce sent dont le renfermé dans le meilleur des cas, ou le prédigéré dans les pires. On y cherche encore « la bousculade » des origines dans et entre ces environnements ultra codifiés et quasi figés. Qui n’existent que pour et par leurs immobilismes créatif et moral.

Le Writing autorise, pourtant lui seul, à ne jamais s’auto-censurer. C’est sa force. A se passer de cette prudence. Il faut d’ailleurs tenter de préserver cette liberté de ton même quand vous pénétrez un lieu institutionnel. Et cette même liberté autorise, quand un spectateur vous reproche d’être trop violent quand vous abordez la question de la guerre au Moyen-Orient, par exemple, de ne même pas justifier votre acte. A la limite, riez avec lui. Parlez-lui de son futur cancer, histoire de changer de sujet, de parier sur un peu plus de légèreté…

Vous serez devenu « cet artiste sympa et accessible ». Celui qui marche dans ses clous. Ou pas.

#10

Autre bond temporel qui va oublier au passage « un tout petit peu beaucoup » de travail et d’œuvres au passage. Mais c’est le jeu. J’ai choisi ce mur pour montrer que je ne suis pas un fanatique. Moi-même figé dans des règles « ayatollesques ». Le genre qui gueule désespérément « le tag c’est le seul graffiti et c’est tout » et dont tu te rends vite compte, que de toute façon, il ne saurait pas faire autre chose que ce qu’il a monté au pinacle.

Image de dingue qu’il est tellement confortable de donner de toute personne qui ne pense pas comme la majorité. Tu sais, le « diable utile ». Ça évite de le contredire avec de vrais arguments. Attitude bien connue. Tout dictateur est doué pour ça et anéantir ses dissidents. Tout grand raté de la vie a juste emprunté la méthode. On va plutôt chercher le petit moment, la chiure de mouche où il a failli pour anéantir l’édifice entier de sa soit-disante « idéologie ».

Non, non, malgré le contenu assez revendicatif des deux livres que j’ai consacrés à la culture du Writing, ou mes refus de participer à ci ou ça (où tu retrouves tout le monde, même les supporters de certaines de mes idées…) je me considère davantage comme un idéaliste que dans le corps d’un idéologue, ou pire, d’un inquisiteur. Je te juge mais tu fais absolument ce que tu veux. Juste ne t’étonne pas si je te serre pas la main, voilà tout.

Toute fin 2019, j’avais donc envie de revenir au Writing pur (selon moi). Juste poser un « monstre » sur un mur. (Détail ici. Le mur entier fait une trentaine de mètres sur plus de 4 de haut).

C’est amusant, quand la prétendue nouvelle vague ne jure que par le rouleau de peinture et une forme d’expressionnisme abstrait, en gros, une « manière » que tu as lourdement influencée il y a « 4000 ans », moi je reviens au style seul en bon sale gosse patenté. Histoire de rappeler que j’emmerde la posture pour glorifier avant tout le travail. La recherche. Et que ton « renouveau » prouve surtout une incapacité à aborder de manière concrète la palette entière d’une forme d’expression. Un peu comme si un peintre allait directement à la toile monochrome ou au minimalisme formel des artistes suprématistes sans passer par le long cheminement mental précédant ce résultat. On oublie le labeur, le temps de gestation et on garde l’image unique devenue simple objet décoratif. Aseptisée et enfin acceptable.

En général, on est frappé d’amnésie quand il s’agit de nommer l’artiste par qui tout est arrivé. Faux Dubuffet, faux Malevitch, faux Tombly, faux Soulages, faux Hartung etc, etc. En même temps ça change des faux Seen et des resucées volontairement malhabiles de Riff. Ok, c’est toujours ça de gagné. Ou de perdu ? Je sais plus à force… Anyway ! Allons jouir sans trop réfléchir dans ce tunnel !

Enfin, considérer que l’élaboration de l’esquisse pendant une semaine entière transpire l’imbécilité, ce serait aller un peu vite, non ? Mais, ok, ce « Lokiss » mécanique n’existe que par le dessin de ses lettres. Le contexte architectural de la fresque, l’interaction visuelle entre celle-ci et son environnement sont en mesure d’inspirer du sens. Mais là encore, pas de mytho. Je suis venu à la porte de Pantin. Le lieu était fermé. J’ai proposé. (En illégal pendant 8-10 jours, tu rigoles ?), cela a été accepté, et j’ai foncé parce que et seulement parce que j’avais une totale carte blanche.

C’est de l’impulsion pure, du rentre dedans, le discours attendra. Ou s’il existe, mon seul acte en est l’axiome. Et le wild style, mon seul langage. Pas plus, pas moins.

#11

Mais un moment, faut retourner sur le front. T’as pas le choix. C’est en toi. C’est la matière qui a fait que tu es toujours là à travailler « dehors », depuis plusieurs adolescences, pour ne rien y gagner, sinon d’avantage de vérité et pas mal d’absurdité. Le regard que tu as sur toi variant selon l’humeur et la couleur du ciel.

Brouiller les pistes, ne pas se « logotyper » autour d’une esthétique, d’une unique écriture font partie du deal que tu as signé avec le Writing sans qui devenir « artiste », ou genre « activiste », n’aurait pas eu lieu. Préférer la connaissance à la croyance, le mouvement au dogme et brûler les « emballages ». C’’est un chemin périlleux mais suffisamment excitant pour ne pas être douloureux, que garder un pied dans une culture tout en rejetant son académisme, son aphasie, ou son opportunisme contre-nature. Ça t’isole un peu, mais ça tombe bien, je suis un solitaire. Et j’aime critiquer et défier avant tout une seule personne : moi-même. (Pas mal d’italiens, d’allemands ou de polonais jouent la même mélodie de défi… donc je ne suis pas si seul au fond. Et puis y’a toujours Antistatik pour casser les codes avec toi.)

Travailler pour toi seul, sur un mur qui sera vu par peu (je veux dire en vrai. Une photo ne remplacera jamais la rencontre physique avec l’œuvre). Loin des festivals et des fêtes foraines de l’art urbain. Tout cela reste puissant et j’en conserve le besoin profond. Que j’ai 16 ou 53 ans.

Depuis ces deux dernières pièces présentées dans cette sélection, il y en a eu d’autres qui sont allées encore plus loin dans l’introduction d’éléments de sculpture en métal dans ou devant les fresques. Qui ont poussé le vice jusqu’à, une fois de plus, inspirer la question : est-ce encore du Writing ? Pas d’inquiétude on me posait déjà la question en 1988.

Et quand, pour le besoin d’une fiction Arte-Netflix sur la jeunesse du groupe NTM, une équipe a recréé très récemment le terrain de la Chapelle, et que j’ai proposé de reproduire plutôt le mur de la photo #2 que mes premières « toyures », la cheffe déco m’a répondu que cela lui semblait « trop artistique ». Ce qui en dit très long sur un préjugé visiblement persistant dans l’esprit des gens vis-à-vis du « graffiti-ti ». Heureusement que Dieu nous a donné Keith Haring et Basquiat pour revenir à la grande culture. Sauvés les idiots des beaux-arts ! Alléluia ! Alléluia !!!

Donc la solitude. Le calme et la concentration totale. (J’ai dit calme ? Ah…). Cette installation va inspirer la série « Doxa » à venir quelques mois plus tard. Là encore, allez sur mon site internet si cela vous intéresse. Je parle de réchauffement climatique, de l’urgence à modifier notre rapport à la technologie, et le processus global de fabrication industrielle. C’est « dehors ». C’est donc proche d’une peinture naïve pour moi et cela ne me dérange vraiment pas. L’évidence du contenant a le mérite de ne pas flouter le contenu. Remarquez que j’échappe quand même à la peinture d’une paysage pollué et à la sortie des violons en bande-son. Simple d’accord, mais pas simpliste ou anecdotique pour autant.

Ici. C’est un peu comme si je réfléchissais à voix haute. Que je montre mon cheminement de pensée, que je peins en direct les résultats et les conflits de mon expérimentation. Pure improvisation autour de la catastrophe écologique et de l’effacement des civilisations, je suis allé jusqu’à passer des jours à poncer des éléments de la fresque, à en nier la mémoire … une fresque réduite aux traces d’un monde disparu.

Pour inclure, au final le mot assez mystérieux pour le profane de « EXODUST ». Comme un slogan, voire un logo ? Oui, évidemment, c’est assez machiavélique de ma part, j’utilise ici la structure graphique d’une affiche publicitaire, de ses différents niveaux de perception : le fond et par-dessus le slogan qui se détache totalement mais qui cependant se nourrit visuellement de l’arrière-plan.
Je veux faire rentrer le spectateur en terrain connu, au moins au niveau inconscient, puis je le garde en otage le temps qu’il comprenne le sens d’une œuvre dont il trouverait d’emblée la violence, SA violence, repoussante.

EXODUST. Association de la racine grecque « exo » et du mot anglais « dust », en passant par le mot latin « Exodus ». Rien de très compliqué cependant, je pense que vous avez deviné, sachant les thèmes explorés, le sens de cette agrégat de sens.

De cette nécessité d’extraction. Avant la poussière. Avant la fin, annoncée tous les 6 mois, sans que rien ne change réellement.

#12

EVACUATION !

Il est temps que je sorte d’ici ! Rires dans la salle.

Je n’ai pas pu m’empêcher d’utiliser la gouaille spécifique des terrains vagues. Les rappeurs entre eux parlent cette langue et en rajoutent jusqu’à se défier dans des octogones où ils ne finissent jamais par se battre. Le trash talking étant, ici, devenu avant tout un outil médiatique. Du blabla bien inoffensif finalement. Où est passée la confrontation des idées et des expériences, la réflexion sans préjugé ? On vient de la liberté artistique la plus totale mais on serait incapable de profiter de cette liberté de parole ? Inutile de se mettre sur la gueule pour faire avancer le champ des idées.

Etrangement le writer est gentil, il a domestiqué totalement son discours, et, dès qu’il rencontre un petit succès de galerie (à croire qu’il l’a obtenu parce qu’il sait se taire), il va bien se garder de réagir à l’invective. Genre « les chiens aboient, la caravane passe ». Et dire que cette culture vient de l’illégalité et que tout acte de vandalisme lié à celle-ci peut encore aujourd’hui vous envoyer en prison. C’est quand même surprenant que les « gangsters de l’art » soient devenus si lisses quand il s’agit d’exprimer les deux trois idées contenues dans leur travail, ou de montrer leur différence … Et cela sans oublier d’où ils viennent.

EVACUATION !

« Graffiti. Expressions Manifestes » et « Graffiti – 50 ans d’interactions urbaines » (Editeur Hazan). Ce sont les deux ouvrages sur lesquels j’ai longuement travaillé. Quitte à perpétuellement ramener mon travail et ma personne à cette culture, et constatant la grande ignorance et les immenses confusions que le public, parfois les writers eux-mêmes, avaient à son propos, je me suis dit qu’il était important que j’en donne ma vision. Que j’exprime ce pourquoi je ressens toujours de la fascination vers cette pratique.

Ce qui dégage d’emblée une grande partie de ce mouvement, je sais, je sais… Mon « évacuation » à moi a dû finalement commencer dès les années 80. Je ne suis pas dupe que ce qui fait vivre les Molotow ou Montana, ce n’est pas le néo-panzerisme de Rammellzee mais plutôt le phantasme d’un Dondi jamais vraiment mort. Je sais bien. Je sais bien. C’est même ahurissant quand on sait que toute crise d’adolescence pousse à cracher sur le passé ou au moins le surpasser, mais jamais le copier des décennies plus tard.

Il y a quelque chose qui m’échappe sans doute dans ces nouvelles vagues successives de jeunes qui adoptent cette pratique pour en répéter inlassablement les poncifs. Je préfère imaginer que le fait de redescendre dans les dépôts provient d’un désir réel d’insubordination, et non de l’imitation des mythes véhiculés par des films comme « Wild Style » ou les 40 publications ayant construit la magie d’un monde… devenu presque une fable dont les enfants devraient sourire de la désuétude. « Hey papi, tu nous fais un tag ?! »

C’est déjà pénible de constater l’inclination des artistes venant du graffiti à collaborer sans aucune hésitation avec les marques, à servir la moindre imposture municipale et donc sécuritaire (« donnez du pain et des jeux à la plèbe »), mais que le disque « Graffiti best-of » tourne encore, complètement usé et rayé, est vraiment fascinant. Pour ne pas dire … des mots plus sales.

Ne me faites pas dire que cette culture est morte et enterrée. Ce genre « messianique », je le laisse aux personnes s’étant improvisées historiens des arts urbains, et voulant se faire remarquer. Le rock est mort, le rap est mort et mes chaussettes sont sales. Ça va, tu peux te taire maintenant. Le Writing ne survivra que s’il poursuit sa métamorphose et se nourrit de son interaction avec l’extérieur (et j’inclus l’art contemporain qui n’est pas en reste pour le vampiriser). Ce genre de poncif est tellement vrai vis-à-vis de cette pratique. Mais je crois aux individus plus qu’au groupe, aux initiatives personnelles plus qu’aux kermesses, ça évolue, ça évoluera. Sinon, ça sera remplacé et pour ma part, je ne verserai même pas une larme. Un parent en phase terminale, tu préfères le voir partir que souffrir en ne ressemblant plus à rien.

EVACUATION !

En regardant cette fresque peinte il y a quelque temps maintenant. Dont je vois immédiatement les défauts et d’inutiles facilités. Cette autre expérience « fresque et métal ». Celle que je ne réussirais jamais à faire dans ta rue. Car, tu sais, la sécurité, le tout public, etc, etc de la politique de la ville qui finit par tous nous soumettre, créations comprises…
Et puis, il y a aura toujours un schlague en colère pour détruire l’engin. Police politique ou police mentale, état et public partageant le même conditionnement, leur rejet est identique quand tu franchis certaines lignes.

Regarde ce visage regarder le tien. Le mien. Le nôtre. Fossilisés dans une même technologie. Aussi utile qu’elle est destructive. Aussi porteuse qu’elle est nocive.

Pour lui. Pour moi. Pour nous.