Le graffiti, une histoire de famille ? Pour Ante et Kerts, deux frères jumeaux, tout débute sur le métro d’Athènes au début des années 90. Depuis vingt-cinq ans, ils partagent leur passion entre la Grèce et la France.
Une relation fusionnelle qui les conduit à développer leur créativité en double-dose. Rencontre avec le duo d’inséparables.
Les débuts sur le métro d’Athènes
Kerts : On a commencé le graffiti à Athènes entre 1993 et 1994. On formait un trio avec notre meilleur ami Tare. Le lycée français d’Athènes a vu naître depuis des générations de graffeurs. Comme tout le monde, on a vu Style Wars, Spraycan art et Subway Art et on a tout de suite eu envie de faire la même chose. Je n’oublierai jamais les magnifiques tags que Colorz a fait dans le centre-ville, parfaitement posés.
Ante : Vers 1992/1993, on fait une rencontre importante : Bez un graffeur oldschool de Rotterdam. Il a commencé à peindre en 1985, c’est le premier graffeur étranger à être venu en Grèce. Il nous a appris les bases du Graffiti : les différents styles de New York à Paris en passant par Berlin. Il nous a fait découvrir l’univers des fanzines new-yorkais ou berlinois comme On The Run, Overkill, Backjumps et les vidéos de graffiti et de breakdance, les Sparvar, la différence entre skinny et fatcaps, qui n’existaient évidemment pas en Grèce à cette époque. A Athènes, c’était Motip et Cosmos Spray, une marque grecque et de temps en temps des Marabu, gratuites.
Kerts : Athènes, c’était un terrain de jeux infini. La ligne verte du métro, HSAP, qui va du port du Pirée jusqu’à l’autre bout d’Athènes à Kifissia, était vierge. Il y avait des layups un peu partout. La nuit, les dépôts n’étaient pas surveillés.
Kerts : Quand je repense à ces moments, on avait 13/14 ans. On était dingues du métro qu’on était les seuls à peindre. Je me souviens encore quand on disait à nos parents qu’on allait au cinéma pour en fait aller dans les dépôts. On kiffait le livre Paris Tonkar et on a commencé en taguant les intérieurs, surtout avec des barannes et des Sakura.
Kerts : On avait trouvé des astuces pour se retrouver presque seuls dans des wagons entre deux stations et on faisait des punitions. Ils nous arrivait de rentrer dans les métros stationnés dans les layups pendant la journée pour faire des tags à l’intérieur. Ensuite, quand on s’est vraiment mis à fond dans le graffiti, on a continué en peignant l’extérieur des métros.
Kerts : on en a vu passer des graffeurs étrangers à Athènes à l’époque.
Ante : C’est clair, au début beaucoup de parisiens venaient pour peindre des métros. Après Colorz et Ioye, c’est probablement Honet et Vans qui ont été les premiers à venir. Ensuite, il y a eu Orse, Opak, Sezam, Loomit, Chintz, Foe, Pum, Rew, Suke… Orse était un gars vraiment cool. Avec l’explosion du graffiti à Athènes, beaucoup de graffeurs continuent de venir régulièrement.
Création du crew DFP
Kerts : En 1995, on monte le crew DFP avec des amis des quatre coins de l’Europe. Nos points communs, c’est d’abord un mélange entre le style new-yorkais des années 70 et 80 et celui de Berlin et surtout, on n’a absolument rien à vendre.
Ante : Ce qui nous rassemble chez les DFP, c’est la passion des lettres.
Étape dans le Sud de la France
Ante : A la fin des années 90, nous sommes tous les deux venus nous installer en France. Dès notre arrivée, on a eu l’occasion de rencontrer plein de graffeurs cools dans le Sud comme Heyst, Awol, Nok78, Sonik, Sano, Aple, Mir qui nous ont beaucoup influencés.
Kerts : La scène française est complètement différente de la scène grecque, du Sud, avec ses TER multicolores, à Paris, scène légendaire du graffiti en Europe. C’est en arrivant en France qu’on rencontre la plupart de ceux qui composent le crew DFP.
Arrivée à Paris
Kerts : Au début des années 2000, on retrouve Senor à Paris, un ami d’enfance particulièrement talentueux et motivé. C’est le début d’une période très prolifique avec beaucoup d’émulation, en mode battle constante. C’était la période du terrain de Saint-Ouen avec nos amis VMD, Dize, Wire, Diksa, Pro…
A la recherche du style
Kerts : Les lettres sont au cœur de notre pratique. Elles doivent danser, s’entremêler et se déformer. Notre principal objectif est de créer les connections les plus élaborées possibles dans nos lettrages. Il faut que ce soit esthétique tout en étant original, avec un grain de folie.
Kerts : Qu’importent les règles sous-jacentes, on est à la recherche du style. Chaque pièce doit être différente et s’inscrit dans le processus d’évolution qui a débuté dans les années 70 à New York.
Kerts : Pour réussir un graff, il faut qu’il soit original, tout en ayant des éléments qui définissent le style et l’époque de son auteur. Il n’y a jamais eu autant de graffeurs, pourtant les styles se ressemblent souvent.
Ante : Déformer les lettres, jouer avec des courbes et des formes géométriques, ajouter des lignes et des flèches donnent un flow à la pièce. C’est ce qui différencie un graff réussi d’un graff raté. Chaque graffeur se crée une dynamique personnelle.
Ante : Pour nous, le Graffiti se situe un peu entre la science et l’art. On adopte une démarche scientifique dans une recherche d’esthétique. Ce n’est pas si étonnant pour des chercheurs.
Ante : Ceux qui ne pratiquent pas considèrent que la subjectivité du graffeur est la chose la plus importante, mais je ne pense pas que ce soit toujours le cas. Bien sûr, il y a les goûts et les couleurs, les préférences de chacun, mais il y a aussi une évolution et une expérience que le passé nous apporte dans lesquels on tente de s’inscrire.
Ante : Ce processus est jalonné de masterpieces qui mettent soit la barre un peu plus haut, soit qui révolutionnent le graffiti. Comme dirait Public Enemy : Those who know, know who.