L’an deux mille dix sept, le dix-neuf Décembre à sept heures. Officier de Police Judiciaire Gérard Mensoif, en stage chez Drips, ayant compétence nationale, poursuivant l’exécution de la commission rogatoire n°466/31. Vus les articles 81, 151 et suivants du Code de Procédure Pénale, nous trouvant au service assisté du rédacteur en chef Cédric Gonnet. Vus les nouveaux éléments à charge révélés dans son livre Marqué à Vie, faisons comparaître à nouveau le nommé COMER OBK dans nos services.
Des antécédents judiciaires ?
Oui. Principalement pour bagarres, port d’armes de sixième catégorie… et bien sûr graffiti.
Un habitué de la maison. Depuis quand pratiquez-vous le graffiti vandale ?
Depuis 30 ans maintenant.
Pourquoi vandale ?
Perso, moi j’considère que j’ fais juste de la peinture m’sieur. « Vandal », c’est une étiquette qu’on nous a collée pour faire passer notre « art » pour un délit. Cependant, avec le temps, nous – les acteurs du mouvement – avons fini par accepter le terme, jusqu’à parfois le revendiquer, car ça donne un coté plus méchant. On parle de « vandal », lorsqu’il s’agit de graffiti sur les transports publics comme les métros ou les trains, dans ce sens alors, oui je suis un « vandal ».
Les tags, parlons-en, c’est nous qu’on paye ! Ça vous amuse ? Vous pensez aux gars qui nettoient ?
Plusieurs choses à ce propos. La première, si on part dans le sens de « c’est nous qu’on paye » je fais partie des « nous », car comme tout bon contribuable, je paye mes impôts. Ensuite le « c’est nous qui payons » ce n’est qu’une vaste supercherie. Les contrats de maintenance, de nettoyage, sont des contrats signés et attribués en début d’année entre les services des transports publics et l’entreprise de nettoyage. Ce sont des contrats de nettoyage des plus classiques ou les graffitis sont intégrés dans le job. Contrairement à ce que l’on peut nous pondre, il n’y a pas de coût supplémentaire dû au graffiti. Donc, avec ou sans nous, les gars qui nettoient font seulement leur travail. Enfin, la plupart du temps, les wagons sont nettoyés par de grosses machines automatisées plutôt que par des mecs qui frottent comme on peut le voir dans les images qu’on nous balance. Ensuite, la dernière chose à savoir, c’est que depuis des années, les services des transports en commun et plus particulièrement la RATP, se vantent d’avoir développé des tas de techniques pour rendre les graffitis 100% lessivable sur leurs rames, tout en réclamant des dommages pour des dégradations « lourdes ». M’sieur, y aurait pas comme un p’tit problème ?
C’est pas moi qui fait les lois Monsieur. Bon et à part marquer votre territoire, ça sert à quoi ?
Désolé m’sieur, j’étais obligé de rire. On n’est pas au États-Unis, on ne marque pas notre territoire. On marque au pire notre passage, si vous voulez. Le but, c’est surtout de se faire connaître ou reconnaître, surtout par notre microcosme. On fait la promotion de notre propre nom. C’est une forme de publicité.
Votre groupe OBK signifie On Baise les Keufs. Vous confirmez ? Vous voulez qu’on vous rajoute une plainte pour outrage ?
Oui, je confirme cette signification parmi d’autres. On Baiz les Keufs, tout simplement parce que les rapports qu’on a eu le plus souvent avec ceux qui sont sensés faire respecter l’ordre, ont été et restent encore pour la plupart outrageux, malveillants, abusifs. Très vite, on s’est mis à ne plus supporter leurs contrôles au faciès, leurs abus de pouvoir permanent. Il nous fallait un nouveau nom de groupe, celui-ci s’est alors présenté comme une évidence.
Supports de prédilection ?
Je dirais tous les supports qui ne sont pas autorisés. Mais il est vrai que durant des années j’ai eu un petit faible pour le métro.
Sans compter les tags, combien de dégradations de trains et de métros avez vous commis ?
Franchement aucune idée, je ne me suis jamais amusé à quantifier mes peintures. La SNCF et la RATP ont estimé, avec des photos récupérées dans des magazines et des vidéos, que mes dégâts s’élevaient à 75 000€. Des devis qu’ils ont ensuite présentés à la justice pour justifier cette demande. Mais depuis quand tu présentes des devis en justice pour justifier d’un règlement de « travaux » ? Eux, on les laisse faire, même si c’est des entreprises privées, elles sont à la botte de l’Etat, donc ça passe. Et puis ils nous parlent de « dégradations » alors qu’il faut rappeler que ce n’est QUE de la peinture, de plus complètement délébile. De quelle dégradation me parlez-vous ?
Vous n’avez jamais compté vos graffs ? Je n’en crois pas un mot ! Bon, les books, ils sont où les books ? Faites péter les photos !
Les books… C’est un truc d’ancien. Je suis même pas sûr que les nouvelles générations, avec l’ère du numérique, font encore des books. Enfin, me concernant, la prudence était de mise, il ne fallait pas avoir ses books chez soi. Les photos, pour la plupart je les garde au chaud, pourquoi pas pour un futur projet. Je considère que les dévoiler, du moins sur le net, c’est du n’importe quoi. Beaucoup d’internautes les récupèrent et les ressortent quelques temps après juste pour se faire mousser, faire croire à son auditoire que c’est leur tof, car bien sûr, ils omettent souvent de citer les sources. L’autre raison, c’est que je pense que les instances comme Google, Facebook and co sont en train de créer une base de données énorme y compris sur le graffiti. Tu vas voir qu’un jour viendra ou tu auras perdu toutes tes données et que moyennant finance tu pourras les récupérer. C’est pour ces raisons que je mets mon logo et que je mets la source sur toutes mes photos, j’invite tout le monde à faire pareil.
A quand remonte votre dernier graffiti sur du matériel roulant ?
Officiellement 2015. Je me suis fais arrêter et j’ai eu l’occasion de rencontrer la relève de ce qu’on appelait GDN, ou Gare Du Nord. Ils semblaient fiers de m’avoir dans leur bureau, par esprit de compétition avec l’équipe du Commandant Merle. Bref, ils étaient plutôt courtois et m’ont mis une amende pour le train que j’avais graffé. Ils ont compris qu’avec le graffiti, ils avaient ouvert une boite de Pandore, au même titre que les radars pour les voitures. Ce qui les intéresse, ce n’est pas de nous stopper, mais de nous faire raquer.
Et depuis, vous faites quoi, vous êtes à la retraite ?
A vingt-cinq euros le mètre carré, pour l’instant j’économise pour me payer mon panel. La retraite, oui plus ou moins. Aujourd’hui, je vis du graffiti. Je fais des toiles, des prestations artistiques. Le graffiti est tellement devenu un incontournable de l’art contemporain, que j’apprends même à des enfants à faire du graffiti dans le cadre des TAP. Donc la retraite c’est pas pour maintenant.
Des toiles et des plans autorisés, c’est pas pour les vendus ?
Il est clair que cela ne m’apporte pas les sensations dont j’ai besoin, qui sont l’essence même du graffiti, mais c’est une autre façon d’aborder le truc. Et puis, à force de voir des gens qui n’y connaissent rien et qui se permettent de parler de notre art en notre nom en le dénaturant, en le transformant, ça m’a donné l’envie, l’énergie de transmettre mon savoir, notre savoir.
Donc ça y est c’est fini les shoots d’adrénaline ?
Ma nouvelle façon de travailler ne m’apporte plus cette accoutumance que sécrète le cerveau et c’est dur. Mais comme pour les drogués, la rechute n’est jamais loin.
Est-ce la raison pour laquelle vous racontez votre vie dans un bouquin ? C’est votre psychothérapie ?
Une psychothérapie, ça l’a été en quelque sorte au début de l’écriture. C’est ma femme qui m’a poussé à écrire pour que j’évite de taguer dans les transports en commun – même si cela n’a pas changé grand chose au final. Très vite, cet exercice s’est mis à me plaire et j’ai, au-delà du coté psycho, compris que c’était aussi un moyen de transmettre quelque chose. Faire comprendre à ceux qui ne sont pas de mon milieu d’où vient le graffiti et surtout pourquoi tant de gens de ma génération ont été happés par cette discipline, et expliquer ce qui nous rend si accro.
L’histoire est écrite et le livre est sorti. La thérapie a-t-elle fonctionné ou vous allez recommencer les conneries ?
A vrai dire, comme je l’ai dit dans le livre et comme nous l’avait précisé la juge d’instruction lors de notre mise en examen « vous êtes des malades et vous ne pouvez pas vous empêcher de taguer les métros les trains dès que vous en voyez un. Pour ces raisons je vous interdis de prendre les transports en communs ». En gros, les gens comme moi, sont des éternels amoureux du matériel roulant. Jusqu’à en collectionner les objets et faire une salle de bain RATP chez soi.
Dans ce livre vous racontez absolument tout de vous. Vous passez du gars discret à l’exact opposé. Ça ne vous gêne pas que n’importe qui connaisse désormais le moindre détail de votre vie ?
Lorsque j’ai commencé à écrire, c’est ce qui a été le plus dur à accepter. Effectivement, je suis plutôt discret. Je ne mélange jamais mes deux personnages, social et « vandal ». Mais dans la démarche que j’entreprenais en écrivant ce livre, il me paraissait évident de mettre en relation ces deux mondes, car même s’ils sont distincts, ils n’en sont pas moins très liés. D’ailleurs c’est même peut-être ce qui fait que le livre reçoit de si bonnes critiques pour le moment.
Vous parlez beaucoup des débuts du graffiti en France : le Hip Hop, la Zulu Nation… c’est pas des trucs de vieux cons tout ça ?
Ce livre est particulier. Contrairement à ce qui ce fait habituellement dans le milieu graffiti, c’est un récit, il n’y a pas de photo, ou peu. C’est la première fois qu’une personne issue de la culture graffiti se dévoile ainsi, en France en tous cas. Ce livre s’adresse aussi à d’autres personnes que celles de notre mouvement et c’est dans ce sens que je parle de Hip Hop. Pour expliquer d’où vient notre « Art ». Et puis, toutes ces « coutumes », ces vieilleries font aussi partie de mon parcours. Elles m’ont construit, je ne pouvais donc pas passer à côté.
Êtes-vous nostalgique ?
En quelque sorte oui. Malgré tout ce qu’il y avait autour du graffiti – les galères, les serrages, les heures incalculables de rodages – je pense que ce furent les meilleures années de ma vie. D’ailleurs c’est bien pour ça que j’ai intitulé le livre Marqué à vie.
Vous revenez longuement sur la fameuse affaire de Versailles, lorsque nos collègues ont chopé une soixantaine d’entre vous. C’était il y a 16 ans. A quoi ça sert de remuer toute cette merde ?
Je ne pense pas remuer la merde en parlant d’une chose qui fait partie de mon histoire. Ce procès à été le déclencheur de l’écriture pour moi, mais aussi et surtout le début de tout une série de serrages bien plus organisés que l’époque de la brigade d’Austerlitz. Il était à mon sens important d’en relater les faits, d’une part pour sa lenteur de procédure, onze ans. D’autre part, pour expliquer certaines choses techniques qu’on ne cesse de me demander.
Est-ce que balancer en pâture la déposition d’O’Clock, ça ne fait pas un peu balance justement ?
Il est vrai qu’O’Clock n’est pas le seul à avoir craché. Cependant, il est de loin le plus précis et le plus large dans ses déclarations. De plus, et même si j’ai eu l’occasion de voir les dépositions salées d’autres prévenus – dans cette affaire et dans d’autres d’ailleurs – je ne me suis pas aventuré à parler plus que ça des autres, car mon nom n’apparaît que dans celle d’O’Clock – et celle de Samsey bien sûr. La « balancer » aux yeux de tous avait deux buts. Le premier, respecter un engagement que j’avais pris après le procès. Effectivement lorsque je l’ai serré, je lui ai dit que ma « punition » serait de montrer sa déposition à chaque personne que je croiserai. La seconde, était d’étayer les propos tenus dans mon livre à son propos. Une parole est une parole, mais je pense qu’un visuel était bien plus explicite et non contestable.
Vous racontez toutes vos bastons et embrouilles, avec les TPK notamment. Pourquoi ? La violence est indissociable du graffiti selon vous ?
Je ne pense pas que la violence soit indissociable du graffiti, peu de gens y ont eu recours ou l’ont subie. Pour ma part, elle faisait partie de mon quotidien depuis que j’avais intégré le monde du hip hop. Tout comme le reste, je raconte les bastons et les violences, entre autre avec les TPK, car elles ont tout simplement fait partie de ma vie, de mon époque.
Êtes-vous un toujours un drogué du graffiti vandale ? Comment se passe le sevrage ?
Oui, effectivement lorsque tu as connu le graffiti comme je l’ai connu, tu ne peux qu’être accro. Y a pas vraiment de sevrage pour les gars comme moi et la médecine ne s’est pas encore penchée sur notre cas, alors…
Bientôt cinquante balais et toujours dans les histoires de graffiti. Vous n’avez pas honte ?
Non, loin de là. J’espère même que j’en ferai encore en mode vieillard. Les keufs me prendront sûrement pour un vieux fou.
Vos gosses, ils en pensent quoi de tout ça ?
Mon fils comme ma fille ont été élevés dans la culture Hip Hop. J’essaie de leur transmettre ce beau patrimoine culturel. Ma fille ainée a été saoulée pendant un temps à force d’être trimballée dans les vernissages de graffiti. Elle s’amusait même à me gronder, voir à essuyer mes guetas lorsqu’elle me voyait en faire n’importe ou. Aujourd’hui, elle revient dans des sons bien hip hop et même si on est éloigné j’espère qu’elle est fière de son papa. Mon fils baigne dedans tous les jours. Il danse, il graffe et maintenant, il veut même écrire des livres. C’est un bon Bboy !
Mouais… On l’attend pour sa première GAV ! En attendant que le fiston s’y mette, on met quelques exemplaires du livre du daron sous scellé. Fin de la garde-à-vue.
Le bouquin est dispo ici.