Un terrain vague entièrement investi par les graffeurs, de la musique, une ambiance familiale et détendue… c’est Mix City, une block party ouverte à tous dans la banlieue de Lyon. Déjà dix ans que La Coulure organise l’évènement, près de Villeurbanne.
De passage chez les Lyonnais nous avons rencontré Reno Kidd, membre du collectif, mais aussi Duke72, invité de l’édition 2018, qui cette année est prévue pour le 1er Juillet.
C’est quoi, La Coulure ?
Un collectif de graffeurs fondé en 2007, qui regroupe Dr Chips, Prim’, Ruane, Becr et moi-même, Reno Kidd. On essaye de développer un style qui nous est propre en proposant une signature commune, comme s’il s’agissait d’un seul artiste. On a un univers plutôt cartoon. Outre nos productions personnelles et les commandes, on aime le graffiti en général, c’est la raison pour laquelle on organise aussi des évènements.
Et Mix City ?
C’est un évènement qui se veut ouvert et simple. Dans le graffiti, on oublie souvent la proximité au profit de l’élitisme et on trouve ça dommage. Cette année, c’est la onzième édition, soit dix ans d’existence. On est assez fier que ce soit l’évènement qui tourne autour du graffiti le plus ancien de la région.
Ca se passe où ?
Les huit premières éditions ont eu lieu au même endroit dans un immense parking dans le centre-ville, mais les murs ont été détruits et on nous a proposé, depuis trois ans, une cour d’usine abandonnée à proximité du premier spot. On a un peu perdu en surface mais le lieu est plus sympa à mon goût, c’est le terrain vague du quartier, craint ou mystifié par les habitants. On l’ouvre une fois par an pour l’évènement, pour les voisins c’est comme une aventure de pouvoir y entrer. L’espace est donc fermé, on ressent plus la vibe block party, on espère qu’ils ne vont pas le détruire et qu’on pourra continuer à y organiser notre évènement.
Comment s’est monté le projet ?
le projet s’est monté suite à notre rencontre avec la mairie de Villeurbanne qui nous soutient depuis le début. Ils ont la même volonté de faire perdurer l’évènement et respectent l’orientation qu’on veut lui donner. C’est assez rare que les institutions nous soutiennent pour ce qu’on est, plutôt que pour ce qu’ils aimeraient qu’on soit !
Qui étaient les invités des différentes éditions ?
En dix ans, on a eu pas mal de monde, beaucoup de locaux mais aussi des gars d’un peu partout, y compris des potes qui sont venus de Tokyo pour participer. En vrac, on peut citer : Ogre, Ponse, les JAB, les PB (Acre, Fase, Abim, Loodz), Zeck & Rimr, Syone, les GEK, Presto, Poes, Jober, Rueone, les VDK, 1port, Zker, Revolt, Bazar, NKDM, Monsta, Merl1, Sek, Pirate, Gris, Brusk, Hose, Esmo, les SOK, Shae, Bouze, Gomer, Spot, Korus, la liste est sans fin… c’est surtout des copains et des gens biens en fait.
Quel était le thème, l’année dernière ?
On n’impose pas de thème, juste une directive de couleur annoncée par l’affiche. Après, chacun fait ce qu’il veut. On ne veut rien imposer aux graffeurs, ça nous parait important qu’ils se sentent libre sur le mur. On a conscience que le rendu final ressemble à un patchwork et qu’on pourrait avoir une meilleure homogénéité si on drivait un peu plus les artistes, mais on préfère la spontanéité et l’énergie de cette journée plutôt que la performance graphique.
Quels sont les retours des graffeurs et des habitants du quartier ?
Avec les graffeurs, ça se passe bien, c’est le plus ancien évènement dans la région et on essaye de garder une ambiance authentique. On ne peut pas plaire à tout le monde, mais je pense pas que l’évènement ait beaucoup de détracteurs. Des graffeurs n’aiment pas l’ambiance familiale de l’évènement. Ils ne se trouvent pas assez valorisés ou ils ont peur qu’un môme un peu toy se pose à coté d’eux. Ces gars-là, ils ne viennent pas et c’est tant mieux pour eux et pour nous. Il y a aussi ceux qui arrivent une heure avant la fin et qui se plaignent qu’il n’y a plus de murs… Ceux-là, c’est les meilleurs !
Les riverains adorent l’évènement, on nettoie le terrain vague de toutes les saloperies qu’on peut y trouver et on apporte un peu de vie à un lieu mort. L’ambiance familiale joue aussi beaucoup. Ils ne viennent même plus pour voir des graffeurs en action. Je crois que le graffiti a passé ce cap. Ils viennent passer un bon moment dans un évènement cool et c’est tant mieux parce que Mix City ne s’adresse pas seulement aux graffeurs, mais à tout le monde.
Y a-t-il des échanges entre les invités officiels et ceux qui viennent peindre sur les murs en accès libre ?
Bien sûr ! Déjà parce que même si on réserve un espace pour les invités, c’est le même grand mur qui fait le tour du lieu, ils partagent donc le même mur. Ensuite, il n’y a pas de barrières et chacun est libre de se promener et discuter avec qui il veut. On sélectionne les invités pour leur reconnaissance dans le milieu, leurs qualités graphiques, mais aussi parce que c’est des gens cool. Les échanges se font donc naturellement.
Une anecdote particulière ?
Une petite partie des murs est réservée à nos invités mais une grosse partie est libre, les graffeurs viennent tôt le matin pour réserver leurs places. Ces murs sont ouverts à tous, on ne censure pas, que tu sois un ancien ou un petit nouveau tu peux venir te greffer à l’évènement. Une année, Spot est venu de Genève peindre spontanément et a sorti une pièce de folie, un gamin de douze ans est venu se coller à lui et a fait un petit perso assez merdique. Normal, c’était une de ses premières pièces. Je suis allé voir Spot en m’excusant pour sa photo. Il m’a répondu qu’il avait passé un super moment et qu’il s’était bien amusé avec son improbable voisin. Au final, c’est lui qui m’a remercié pour la bonne ambiance de l’évènement. C’est tout ce qu’on aime, c’est pour ça qu’on organise cet évènement.
Pourquoi garder le mystère sur le line-up de la prochaine édition ?
Nous ne sommes pas issus du milieu de la fresque, nous avons donc naturellement plus de contacts avec des gars qui n’ont pas spécialement envie qu’on les annonce. Je pense que c’est légitime dans ce milieu. Du coup on n’annonce personne et c’est plus simple. De plus, on invite le public à nous faire confiance et on espère le surprendre. On ne communique que sur notre invité spécial, cette année c’est une pointure de l’histoire du graffiti lyonnais, Duke72.
Duke, peux-tu te présenter ?
Duke, millésime 1972, je viens de Lyon et je pose KMF, DKR, LCF. Je me mets au graffiti en 1989 avec De La Soul dans les oreilles. Au début, je peins avec Arno, un ami d’enfance. Pas de connexion, on se débrouille comme on peut. On a une cible à l’époque, la ligne de bus 23 qui va dans le centre. Je m’y suis mis par mimétisme. C’était magique, écrire, être libre. Je n’ai pas vraiment de support de prédilection, il me faut juste de l’espace pour étirer mon lettrage, une couleur commune pour le fond et surtout, pas de contrainte.
As-tu l’habitude de participer à ce genre d’évènement ?
Cela m’arrive ponctuellement .
Comment as-tu rencontré les gars de La Coulure ?
Ils sont incontournables pour les plans déco dans la région. Ils ont même fait un mur dans l’école de mon fils. On a des potes en commun. Un des membres du collectif m’a capté un dimanche dans un terrain et c’était parti.