Ale VLOK est un Sudaka, un Sud-Américain immigré illégalement à Barcelone en quête d’un avenir plus radieux. Mais c’est aussi un train writer, et son expérience de l’ancien continent, c’est surtout au cœur des réseaux ferroviaires et métropolitains qu’il va la vivre.
Originaire de Santiago du Chili, il débarque ici au début des années 2000, avec une envie dévorante de vivre le graffiti sur train à l’européenne. Un graffiti qu’il ne connaissait jusqu’alors que grâce aux fanzines et autres vidéos qui traversaient l’Atlantique : Sikopats, Xplicit Grafx, Dirty Handz... Une fois sa réputation faite à écumer les dépôts locaux, il s’attaque au reste du monde, aux cotés des plus grands noms de la scène graffiti underground.
C’est ce périple personnel qu’il relate aujourd’hui dans son livre Patiperro, The Diary of a Sudaka, un carnet de bord de luxe où cohabitent photos d’ambiance, panels, collages et récits de ses tribulations et rencontres. Explications.
Que signifie Patiperro ?
A Santiago du Chili il n’est pas rare de croiser des chiens, avec ou sans propriétaires, qui déambulent dans les rues comme s’il n’avaient pas de maison. Le terme Patiperro vient de là, il désigne une personne qui a la bougeotte et aime voyager.
Avais-tu entendu parler d’autres writers qui auraient émigré de l’Amérique du Sud vers l’Europe avant toi ?
Je me souviens avoir vu des panels des Os Gemeos tourner dans Dirty Handz 2, et d’un wholecar à eux en compagnie des TSK sur un Cercanias. Mais franchement je ne connaissais personne qui s’était installé en Europe.
As-tu ressenti du racisme au sein du graffiti ?
Bien sûr, il y a des gens ignorants partout et je l’ai en particulier ressenti auprès de certains graffeurs espagnols. Il y en avait un qui m’appelait le chilien sur le ton de la « blague » et me traitait avec peu de respect, comme un être inférieur. Il m’a d’ailleurs arnaqué sur un taf, c’était ma première rencontre avec le racisme en Europe. Je me souviens d’un autre qui disait « en blaguant » que c’était grâce aux Espagnols que l’Amérique Latine avait des chevaux, une langue et une culture. Au départ cela m’a pas mal choqué mais avec le temps j’ai appris à me tenir loin de ce genre d’individus qui n’ont rien d’autre à offrir que des mauvaises vibes et de la frustration.
Peux-tu nous donner une idée de ce qu’on peut trouver dans ton livre ?
Le livre regroupe du matos des cinq ou six dernières années : photos, collages, panels, actions, des souvenirs et plein d’autre choses… Même les dessins que les gosses de mes potes ont fait spécialement pour moi !
Il reflète comment j’ai vécu cette époque. Environ 350 pages dans lesquelles chaque chapitre commence par une photo des chaussures que je portais pendant les histoires qui vont être racontées. Ces photos sont le fruit du travail d’Ozkar Gorgias, qui a inventé ce concept.
Le livre relate beaucoup d’histoires le plus honnêtement possible. Je ne parle pas que des bons moments et des succès, mais aussi des mauvaises passes comme quand je me suis fait attraper, ou quand j’ai eu des conflits avec d’autres writers. Mon but était de faire quelque chose le plus authentique possible et de raconter comment un simple sans-papier est arrivé en Europe la tête pleine de rêves, et les efforts qui ont été nécessaires pour s’en sortir… Si je peux le faire, tout le monde peut.
Il y a rien de mieux que le voyage. Cela te vaccine contre des maladies telles que le racisme, le classisme ou l’homophobie. Tu comprends mieux comment tourne le monde.
Toi qui as tellement peint au Chili et en Allemagne, pourquoi t’être autant focalisé sur la thématique du voyage ?
Les expériences liées au voyage sont bien plus variées. Elles te permettent de voir les différentes façons du graffiti pour exister en fonction du continent et de la ville dans lesquels tu te trouves. C’est comme ça que je vis ces dernières années. Ma façon de voir le graffiti sur train a évolué avec le temps et je l’ai adapté à mon mode de vie et à mes responsabilités : ma copine, mon taf, me tenir loin de la police. J’essaie de trouver l’équilibre entre les parties légales et illégales de ma vie. Malheureusement, c’est une situation qui ne peut pas durer éternellement.
Voyager et être en mouvement constant sont très importants pour moi. La vie dans l’Ancien Monde est moins ennuyeuse sous cet angle. Le voyage est la meilleur chose que tu puisse faire contre de l’argent, tu te fais des expériences de vie, tu te vaccines contre des maladies telles que la racisme, le classisme et l’homophobie, tu comprends mieux comment tourne le monde.
Dans le graff, c’est quoi le mieux : voyager peu et peindre beaucoup ou voyager beaucoup et peindre peu ?
Je ne sais pas. A mon âge le mérite dans le graff ne me semble plus trop être une notion pertinente. Cela l’était à une époque mais maintenant j’ai juste envie de profiter du graff et de documenter ces moments du mieux que je peux et continuer d’être heureux avec ce que je fais. Mieux vaut être un toy heureux qu’un king amer.
Quels rôles les personnages que tu dépeins jouent dans ton livre ?
Ils sont très important car sans eux il n’y aurai pas de livre. Certains sont comme mes frères, nos amitiés dépassent le monde des trains. Je ne leur parle même plus de graffiti, on partage des choses bien plus profondes que peindre et, grâce à certains, j’en suis où j’en suis aujourd’hui.
L’importance de la photo semble parfois supplanter celle du graffiti. Te considères-tu désormais plus comme un photographe ou un writer ?
C’est un dilemme. Ma vie de graffeur est plus épicée, car j’ai trois façons de vivre un moment : prendre des tofs, peindre, ou faire les deux en même temps. La photo m’a fait renouer avec mon amour du graffiti et mes graffs ont pris un chemin différent. Aujourd’hui les photos d’une époque sont presque plus importantes que les pièces de la même période.
Quels sont les chapitres du livre qui comptent le plus pour toi ?
– Barcelone. C’est la première ville où j’ai vécu en Europe, là ou j’ai commencé à tout construire à partir de rien, là où les choses ont commencé à changer. J’ai toujours des personnes très chères à mon cœur là-bas.
– Le Cap. C’est tellement exotique de peindre des trains en Afrique ! C’était une expérience incroyable, et c’est aussi là-bas que j’ai montré à MTN la première version du livre. Ces réunions ont généré de très bonnes idées qui ont grandement amélioré le bouquin.
– Cologne. Un endroit très spécial pour moi, qui m’a laissé de très bons souvenirs.
Ce sont les lieux où j’ai le plus apprécié le graff dans ma vie.
Comment penses-tu que ce projet sera perçu par la scène chilienne ?
Je ne sais pas, je suis parti il y a tellement longtemps ! Il est possible que les nouvelles générations ne me connaissent pas, pas plus que la place que j’avais dans la scène locale de la fin des années 90 et débuts 2000. J’aimerais que les gens puissent mettre la main sur mon livre, découvrent mon travail et lisent mes histoires. Ca me suffit.
Ce livre va-t-il marquer un tournant dans la carrière d’Ale ?
Je ne pense pas. C’est du graff sur train et c’est un délire anonyme. Ma vie va continuer comme avant et c’est comme ça que je l’aime. Je n’ai pas l’intention de payer mes factures grâce à ce livre, et encore moins de vivre du graff à l’avenir. Cela m’est impossible, je ne veux pas transformer la passion d’une vie en un outil pour gagner de l’argent. Si je le faisais, au bout d’un moment ça ne serait plus spécial. Je préfère avoir un job normal, comme tout le monde.
Je n’ai pas l’intention de payer mes factures grâce à ce livre voire même de vivre du graff à l’avenir. Je préfère avoir un job normal, comme tout le monde.
Patiperro est disponible ici sur Allcity.fr.