Partir en roadtrip pour dénicher des spots vierges, faire des graffs, prendre des photos… et croiser des chats. C’est le quotidien de Persu, un graffeur en quête d’aventures qui partage sa passion des lieux abandonnés avec sa compagne, photographe.
Rencontre à Nantes, entre deux expéditions, avec le routard du Graffiti.
Peux-tu te présenter ?
Je suis Francis Persu, j’ai 41 ans, un peu moins dans ma tête. Je suis passionné de graff, de chats, de rap indé/underground, de punk hardcore, de bluegrass et de catch, l’Undertaker étant mon idole absolue. Je fais partie des crews OCT, la famille, la base, from Bourgogne. Je suis aussi TG, un crew de Toulouse, Moker (Bretagne), ODV (Paris), IBS (Nantes), TSH (Sud de la France), 1984 (Paris). J’ai une seconde identité qui est Hobos, FAV, N10 et GB. J’en ai d’autres encore que je ne souhaite pas révéler parce qu’elles font des trucs pas biens. Nous vivons tous ensembles dans mon corps, ça se passe pas trop mal. Je viens d’Auxerre, j’ai vécu à Paris et je suis désormais à Nantes.
Comment as-tu commencé ?
J’ai toujours aimé dessiner, depuis tout petit. Gamin, je kiffais les BD, notamment Gotlib et Edika. J’ai découvert le rap et le Graffiti au début des années 90, quand les Suprême NTM ont commencé à apparaître dans les médias grand public. Je les ai vus faire deux morceaux en live dans l’émission des Nuls, puis ils ont été dans l’émission Mon Zénith à moi de Michel Denisot, où il y avait aussi Mode2 qui peignait sur le plateau. J’ai kiffé de ouf.
J’ai commencé à regarder les graffs des old timers dans ma ville, à Auxerre. Il n’y avait pas grand monde à l’époque, à peine une dizaine de gars, qui ont dû faire une vingtaine de pièces entre 1988 et 1991 puis ont arrêté… À la même période, je lis un article sur Bando et le terrain vague de Stalingrad dans un numéro de Métal Hurlant appartenant à mon grand frère. Ces deux claques coup sur coup ont tout changé du jour au lendemain, je savais ce que je voulais faire de ma vie.
J’ai rencontré Skey au collège, on s’est mis au graff ensemble. On a appris tout seul, puis on a rencontré des plus vieux qui nous ont un peu briefé. Au début, on se contentait de faire des tags au marqueur, tout en esquissant sur papier pour essayer d’avoir un style potable. Ensuite, on a eu des mobylettes. On s’est procuré des sprays, on a trouvé des endroits abandonnés et on s’y est entraîné. Quand on a été capable de faire des lettrages à peu près corrects, on en a mis dans la rue, sur les voies.
Je suis un peu casse-cou et un brin asocial, le Graffiti est l’activité idéale pour combiner tous ces éléments. J’aime déformer des lettrages et les rendre complexe, c’est un truc que je kiffe vraiment. Je n’ai pas forcément une démarche artistique avec un propos, si ce n’est le même que tout le monde : dire que j’existe et essayer de me démarquer dans la compète en faisant des trucs qui déchirent, tout en étant présent. Je trouve ça positif, ça force à se dépasser.
Je peins surtout pour le kiff, pour ma gueule et pour ceux à qui ça plaît en priorité. En vandale pour l’aventure, en légal pour le kiff de peindre en prenant le temps de faire des trucs plus poussés. J’essaie d’être polyvalent, je m’intéresse à toutes les facettes du Graffiti. Ça m’a permis de rencontrer des personnes diverses et variées et de découvrir plein d’endroits improbables. Le rap m’a ouvert les yeux sur les réalités pas très glorieuses de ce monde.
Pourquoi peindre dans des lieux abandonnés ?
J’ai fait mes premiers graffs dans des usines désaffectées. Je peins aussi parfois dans les terrains, dans les Hall Of Fame, mais c’est une démarche différente. Il faut du rouleau pour recouvrir les pièces. Même si je reconnais que c’est efficace et économique, je déteste peindre au rouleau, ça me casse les couilles. Faire des fonds aussi. Je ne suis pas super à l’aise avec les couleurs, donc dans les terrains vierges je fais essentiellement des pièces en chrome, en cuivre ou en or. Je trouve que ça rend mieux.
J’aime les ambiances des lieux abandonnés, la variété des murs, le papier peint qui se décolle, les textures, la rouille, la végétation. Pas besoin de faire de fond, le temps et la nature s’en sont déjà chargés. J’essaie d’adapter mes lettrages en fonction du lieu. Je trouve tous les lieux abandonnés avec ma compagne, Attache Tes Lacets. C’est son nom de photographe et le nom de son site. On prend la bagnole et on se perd dans la campagne en étant à l’affût de ce que la route va nous offrir. À part quelques gros spots qu’on a recherchés sur le net, on trouve tout au pif.
Je ne me considère pas comme un explorateur urbain. Les gens de l’Urbex n’aiment pas le Graffiti. Ils ne veulent pas laisser de traces dans les lieux qu’ils visitent. Je suis un graffeur qui kiffe les lieux abandonnés et les murs vierges. Mais il y a certains endroits où je me retiens de peindre, les gros manoirs, les trucs historiques. Sauf s’ils sont déjà fonsdés de tags. Lorsque je suis dans un spot vierge, je peins en général très rapidement pour pas que ma copine passe trois plombes à se faire chier une fois qu’elle a fini de prendre des photos du lieu. Mais aussi parce que j’aime peindre vite, tout simplement.
Ça influe sur mon style, qui est beaucoup plus spontané et freestyle. Les années à peindre illégalement ont beaucoup aidé à acquérir une sûreté, une maîtrise technique et une certaine précision dans les gestes. Quand je peins dans les terrains classiques, c’est avec les potes des différents crews, c’est plus détendu, plus coloré. Il y a de la musique et de la bière. Deux salles, deux ambiances, comme pour l’illégal et le légal.
Pourquoi utiliser Hobos comme autre autre alias ?
J’utilise ce blaze quand j’ai la flemme de faire du wild style. Au début, je voulais faire de l’ignorant style avec ce pseudo. En fait, je n’y arrive pas, c’est trop dur. Donc je fais juste des lettrages plus simples, et parfois volontairement un peu pétés. Je me cale dans les coins de mur, dans les endroits que personne n’irait peindre, je m’adapte encore plus au lieu qu’avec mon blaze Persu. J’expérimente, ça me dérange moins de foirer un graff en faisant Hobos qu’en faisant Persu. C’est aussi le blaze que j’utilise quand je peins des frets. Les hobos sont des espèces de clochards célestes qui voyagent clandestinement dans les trains de marchandises. Utiliser ce blaze sur les frets et dans les lieux abandonnés, ça a du sens.
Une anecdote concernant tes explorations ?
Ma copine et moi on adore les chats. Vraiment beaucoup. Quand on fait nos vadrouilles, parfois des road trips de plusieurs jours, on fait du camping sauvage. On dort la plupart du temps dans la forêt, parfois dans des champs. Un soir, alors qu’on est en train de chercher un coin scred pour planter la tente, j’aperçois un chat au bord de la route, comme une image subliminale. C’est une petite route qui traverse une forêt, on est assez loin de toute civilisation. On fait marche arrière, le chat est toujours là, il miaule et vient direct vers nous. On se dit que l’endroit est pas mal, on s’installe là. Comme on a toujours des croquettes dans la voiture, au cas où, on en file au chat, qui est une chatte, d’ailleurs. Affamée, elle plie le paquet en deux-deux. Elle reste avec nous et réclame des câlins à fond, puis elle passe carrément toute la nuit avec nous dans la tente, carrément dans le duvet même, en gros manque d’affection.
On se dit qu’elle a dû être abandonnée par ses enculés de maîtres et qu’elle était postée là à attendre qu’ils reviennent, probablement depuis quelques jours. Le lendemain, on est embêtés, que faire d’elle ? Ma copine a déjà trois chats, j’en ai une qui va pas kiffer la colocation et mon appartement est très petit… On cherche sur le net une adresse de SPA à contrecœur. On voit qu’à dix kilomètres, il y a un gîte qui recueille les chats abandonnés. On y va et on explique le truc. Ils la prennent. Quelques temps plus tard, ma chatte décède après une chute fatale du balcon, je fais mon deuil. Au bout de quelques mois, je vois sur le site du gîte que notre chatte de la forêt n’a toujours pas trouvé de famille. Je les appelle et je retourne la chercher. Elle vit maintenant chez moi. Je l’ai appelée Forest et elle est adorable. Bon, l’anecdote n’est pas très ghetto street life, c’est vrai.
Une autre fois, dans une usine abandonnée, je tombe nez à nez avec des tigres et des lions.
J’appelle ma copine : « putain, y’a des tigres ! »
Elle : « quoi ? y’a des tigres ! Comment ça y’a des tigres ? »
Moi : « viens voir, j’te jure, y’a des putains de tigres dans le spot ! »
Effectivement, juste devant nous, des tigres et des lions de cirque, en cage, dans un camion. Un cirque s’est installé là, probablement en accord avec la ville. Il n’y a personne aux environs, on reste bien une heure, je peins à côté des félins, on fait des photos, on se demande s’ils vont nous bouffer si on les libère. Les pauvres font les cents pas dans une cage de cinq mètres carrés. Les lionnes et les lionceaux sont séparés. Par terre, il y a des pauvre morceaux de viande sous plastique de Leclerc. On a beau avoir kiffé de se trouver avec ces gros chats, on est repartis tristes et révoltés. Les pauvres, leur vie c’est soit se faire chier dans une cage, soit se prendre des coups de fouets pour sauter dans des cercles. C’est pas normal. C’est des souvenirs 100% Graffiti.
Plutôt mission solo ou en équipe ?
Les deux. Pour ce qui est du vandale, j’aime bien être seul, c’est plus discret et tu ne peux t’en prendre qu’à toi même en cas de problème. À deux, c’est bien aussi, quatre yeux valent mieux que deux. On peut s’entraider et c’est un peu moins la merde en cas de problème, genre blessure. À plein, c’est marrant également, par contre généralement on est tous raides et ça finit en gardav. Donc bon… plutôt à deux ou seul tout. Pour le légal ou pas légal mais tranquille, plutôt seul ou à deux dans les lieux abandonnés, et à plein dans les Hall Of Fame, c’est plus convivial.
Quelle est l’importance de la photographie ?
Énorme ! Déjà, parce que ma compagne fait des photos qui défoncent. Aussi, parce que le Graffiti est éphémère, que ça soit dans la rue, sur les trains ou dans les terrains, ça ne reste jamais très longtemps. Quand ça reste ça peut être abimé par la météo ou les toys. Faire des photos de ses peintures, c’est conserver une trace. Si j’ai pas de photo d’une pièce, je bade. Quand je n’ai pas de quoi prendre des photos, je les réclame à mes potes ou j’insiste pour qu’ils aillent les faire, en mode super impatient. Je veux ma putain de tof bordel, hein Cloun 😉 .
Des projets ?
Faire des livres avec Attache Tes Lacets sur nos vadrouilles, avec des tofs d’ambiance et mes pièces. Et aussi un livre plus autobiographique, avec tout ce que j’ai fait, mes différents blazes, des anecdotes, les potes, l’illégal, le légal, tout. Ma vie, mon œuvre. Persumania, l’encyclopédie en dix volumes.
Crédit photos : Attache Tes Lacets