Le Far West, un cow-boy solitaire qui tire plus vite que son ombre, des desperados plus ridicules les uns que les autres… Impossible de passer à côté de Lucky Luke, une des personnages de BD les plus populaires après Tintin et Astérix. Adapté en dessins-animés, films, jouets et jeux vidéo, l’univers parodique de Lucky Luke se décline sous toutes les formes depuis plus de soixante-dix ans, graffiti compris.
Quelques chiffres pour se faire une idée de l’impact des aventures du plus célèbre des cowboys : soixante-dix-neuf albums vendus à plus de trois cents millions d’exemplaires et traduits en vingt-neuf langues, rien que ça !
Retour sur cette véritable saga du neuvième art. Tout commence en 1949, avec au dessin, Morris, le dessinateur belge. Marqué par un séjour aux États-Unis et par les classiques du western, il façonne son personnage principal en s’inspirant des acteurs incarnant les plus célèbres cowboys du cinéma hollywoodien : Gary Cooper, James Stewart ou encore Clint Eastwood.
À la création de la série, pour les quatre premiers albums, Morris est influencé par le dessin animé. On retrouve dans les premières planches les caractéristiques du genre, tel qu’il était à l’époque : un trait rond, des personnages simplifiés, des têtes disproportionnées ou encore des mains à quatre doigts.
En créant Lucky Luke, j’ai eu le souci d’en faire un personnage propre à s’adapter au dessin animé. Si vous regardez les premières planches d’Arizona, les personnages sont très ronds et très proches par le trait de ceux que l’on dessinait pour l’animation. Peut-être avais-je la prémonition qu’un jour Lucky Luke galoperait sur les écrans… Pour un personnage de bande dessinée, être porté à l’écran est une consécration.
– Morris
La série se déroule sur une période de quarante ans, de 1861 à la fin du siècle : ruée vers l’or, construction du chemin de fer, arrivée du télégraphe, guerre de Sécession, spoliation des Indiens… des sujets historiques traités de manière humoristique et parodique par le duo franco-belge, révélant la bêtise d’une société obsédée par l’argent.
L’histoire de l’Ouest est tellement riche en personnages truculents qu’il serait dommage de ne pas en profiter. Au début des aventures de Lucky Luke tout était fantaisiste et petit à petit sont intervenus des personnages ayant existé. Les Dalton, Jesse James, Calamity Jane, Roy Bean, etc. Les décors avec les pancartes, les croque-morts, les shérifs, les joueurs de cartes professionnels. Même dans une histoire à caractère humoristique, il faut mettre un brin de réalité. Sinon, elle perd de sa force.
– Morris
A partir de 1955, il confie le scénario à René Goscinny. C’est à lui qu’on doit la célèbre formule qui figure sur chacun des albums : « Lucky Luke, l’homme qui tire plus vite que son ombre ». Les scénarios s’étoffent. Le scénariste ajoute des personnages secondaires comiques pour faire pendant à Lucky Luke, qu’il ne trouve pas suffisamment drôle et crée la chanson figurant à la fin de chaque album.
En 1957, suite à de nombreuses lettres réclamant le retour des frères Dalton, pendus après une attaque de banque dans l’album Hors-la-loi, Morris et Goscinny créent les cousins fictifs des véritables bandits, Joe, William, Jack et Averell.
C’est avec enthousiasme que j’ai inventé les cousins Dalton, les quatre chevaliers de la bêtise : Joe, William, Jack et Averell. Les deux éléments moteurs du quatuor sont Joe et Averell, et quand je dis éléments moteurs, cela ne veut pas dire qu’ils vont de l’avant. Ils errent plutôt dans toutes les directions, sauf la bonne. Joe, le plus petit, le plus méchant, et par conséquent le plus bête, j’ai la faiblesse de penser qu’en général, la méchanceté n’est pas une preuve d’intelligence, Joe, donc, est le chef. En tout cas, il est accepté comme tel par ses frères. J’ai concentré sur lui tous les défauts possibles et imaginables : il est bien sûr stupide, mais il est aussi égoïste, vaniteux, cruel et avide. Je me sers de lui pour prouver à quel point ses frères sont bêtes, puisqu’ils l’admirent lui, le plus bête de tous.
– Goscinny
Le raisonnement est peut-être un peu vertigineux, mais la bêtise est insondable, c’est bien connu. À l’autre bout, il y a Averell, le plus grand. Tous ces frères le méprisent, car ils le considèrent comme le plus bête d’entre eux. Dès qu’il dit quelque chose, les trois autres brament : Averell, tais-toi ! Averell, c’est le gaffeur né. C’est le genre à dire à sa victime : Tenez-moi donc ce revolver pendant que je vais chercher une corde pour vous ligoter. Ses motivations sont assez simples, il aime manger. Morris et moi, d’ailleurs, sommes assez fiers de constater que le cri de guerre d’Averell : Quand est-ce qu’on mange ? est devenu célèbre.
– Goscinny
Trois ans plus tard, dans l’histoire intitulée Sur la piste des Dalton, Morris introduit un nouveau personnage, Rantanplan, le chien le plus stupide de l’Ouest, représentant de l’ordre, parfaite parodie de Rintintin. Incapable d’assurer la surveillance du pénitencier dans lequel sont régulièrement enfermés Les Dalton, il est régulièrement méprisé par Jolly Jumper, le meilleur ami de Lucky Luke, son fidèle canasson.
Suivront des figures historiques et bien réelles du Far West comme le juge Roy Bean dans Le Juge, les frères Earp, l’actrice Sarah Bernhardt et en particulier Wyatt Earp dans O.K. Corral, Soapy Smith dans Le Klondike ou encore Jesse James, Billy the Kid et Calamity Jane qui apparaîtront comme personnages principaux de plusieurs épisodes de la série.
Victime de son succès, Lucky Luke n’échappe pas à la censure. En 1988, Morris doit remplacer sa cigarette par un brin de paille.
Les Scandinaves m’ont reproché de faire des noirs trop noirs avec de trop grosses lèvres. Et pour s’adapter au public anglo-saxon, il a fallu renoncer, dans les dessins animés, aux Mexicains endormis. les Indiens se sont mis à parler un anglais d’Oxford. Je passe sur la cigarette de Lucky Luke remplacée par un brin de paille.
– Morris
En 1977, la mort de Goscinny n’entraine pas la fin de Lucky Luke, plusieurs scénaristes seconderont ensuite Morris pour un total de soixante-dix albums.
Depuis la disparition de Morris en 2001, de nombreux dessinateurs et scénaristes se relaient pour donner une suite aux aventures du cowboy.
Ce qui se passera après ma mort, je m’en fiche. Je n’ai pas d’enfant. Si on trouve quelqu’un qui soit capable de le dessiner correctement, pourquoi pas ? Je n’y pense pas. La seule chose que je demande, c’est qu’on mette dans mon cercueil du papier et des crayons, au cas où il me prendrait une envie de dessiner.
– Morris
Une succession assurée aux quatre coins de la planète par les graffeurs qui n’ont pas attendu la disparition du duo pour prendre la relève. Un poor lonesome cowboy pas si solitaire que ça…